L’Aber-Wrac'h est un aber du pays de Léon dans le nord-ouest du Finistère, en région Bretagne. L'Aber-Wrac'h est le plus long et le plus septentrional des abers de la Côte des Abers. C'est également le nom du hameau de Landéda abritant le port du même nom.
Toponymie
Les formes anciennes attestées sont portu qui Achim (XIe siècle), abergroach (1521), Abrah (1543), Abrah (1548), Obenrac (1585), Obeurac (1608), Breurac (1625), Obrurac (1629-1631), Abrirac (1635), Rivière de Wrakh (1636), Abrirac (1660), Aberache (1706), LAberache (1720), Abergrach (1721-1745), Obreverac (1763), Baie d'Obreverac (1763), Havre de l'Abbrevrak (1764), Havre de l'Abbre Vrak (1773), Abreverac (XVII-XVIII), Abervrach (1832), l'Aber-vrac'h (1842), Le Vrac'h Rivière (1842), l'Abervrac'h (1843), L'Aberwrac'h (1889)[réf. souhaitée].
Si la première partie fait simplement référence au mot français d’origine bretonne Aber, l'origine du mot Wrac’h est sujette à discussion. En breton Aber Ac'h, désignerait l'aber du Pays d'Ac'h (en breton Bro Ac'h, ancien nom du Bas-Léon, partie occidentale du Pays de Léon). Ce dernier terme vient du latin Pagus Achmensis, et serait une altération de Pagus Osismiensis, du nom de la tribu celte des Osismes[2],[3].
Wrac'h serait à l'origine le nom d'une vieille déesse ou sorcière honorée dans un sanctuaire païen local avant la christianisation[4]. La Wrac'h ou Gwarc'h est un avatar de la déesse mère primitive, d'une conception de la divinité remontant au néolithique dont on retrouve la trace dans toutes les cultures indo-européennes sous des noms variés : Ana, Anna, Anu, Dana, Danu, etc. Pour les peuples d'Armorique elle est devenue la Mamm-Goz, la vieille mère des bretons, christianisée sous le nom de sainte Anne. La dernière nuit du mois de janvier est appelée Noz ar Wrac'het marquait la fête celtique du renouveau de la nature. En Irlande cette déesse est Brigit (christianisée sous le nom de sainte Brigitte) fêtée à Imbolc, c'est-à-dire au début du mois de février. L'expression Gwarc'h an Diaoul ("la vieille femme du diable") désigne traditionnellement une sorcière. Des toponymes présents le long de l'Aber-Wrac'h (le "pont Krac'h" ou "pont du diable", l'Enfer) illustrent aussi ces anciennes croyances[5].
Géographie
L'Aber
Les sources de la rivière Doëna qui se jette dans l'Aber-Wrac'h se trouvent entre Trémaouézan et Saint-Thonan et en grande partie à Ploudaniel dans le quartier de Lestréonec où l'on dénombre pas moins de quatre sources ; la longueur du cours d'eau est de 33,6 km[1]. La plus grande partie de l'Aber-Wrac'h est une ria ou aber qui se jette dans la Mer Celtique[1].
Son tracé actuel sinueux, en « baïonnette », est un héritage de la tectoniquehercynienne de la région. Tantôt, il emprunte des failles méridiennes, tantôt des failles N 100-110, parallèles à la faille de Kerforne[6].
L'Aber-Wrac'h cesse d'être navigable au niveau du hameau de Paluden, à 4 km environ à l'intérieur des terres. Par le passé, les bateaux desservant Plouguerneau et Lannilis déchargeaient leurs cargaisons à cet endroit où une cale fut aménagée. Cette cale est toujours utilisée pour le débarquement de cargaisons de bois d'Europe du Nord. Le pont suspendu de Paluden permet de rejoindre les deux rives et est désormais doublé par un pont récent situé plus en amont.
Le port
Le port de l'Aber-Wrac'h, anciennement dénommé « Havre de la Palud » est désormais un port de plaisance offrant plus de 300 mouillages. Il est géré par la Chambre de commerce et d'industrie de Brest. Il accueille en saison touristique de nombreux plaisanciers français et étrangers, principalement britanniques[7].
Les Îles en face de l'Aber Wrac'h
Elles sont aussi appelées archipel des îles de Lilia (Lilia : nom d'un bourg de Plouguerneau).
Une épave dite "Aber Wrac'h 1" est la seule épave médiévale retrouvée à ce jour sur la côte nord de la Bretagne. Il pourrait s'agir d'un bateau naufragé en 1435, évoqué dans la correspondance du duc Jean V de Bretagne[9].
Le manoir de Kerouartz en Lannilis, est situé sur les rives de l'Aber-Wrac'h. Ce fut le fief de la famille de Kerouartz.
De tout temps, l'Aber Wrac'h a été un abri, un port de relâche disposant de havres et de zones d'échouage naturellement protégés. Le "Journal d'Olivier Mazéas", seigneur de Lesmel (en Plouguerneau) qui, entre 1464 et 1467, était receveur des ports de port pour l'Aber Wrac'h ("Contrôleur des Ports de l'Aber-Vrac'h, de Corredou et de Porz-Moalleuc"), montre un trafic d'importance notable : les navires emportent blé, poissons séchés, viandes salées et reviennent avec du vin de Bordeaux ou du sel de La Rochelle. Une des tombes de l'ancien cimetière de Tremenec'h (ancienne paroisse disparue sous les sables, désormais en Plouguerneau) porte une gravure représentant un bateau datant de la fin du Moyen-Âge.
Le XIXe siècle
Le port de Paluden était au XIXe siècle le port le plus important de l'aber, celui de l'Aber-Wrac'h ne servant que de port de relâche. La création de l'usine à soude de Saint-Antoine en 1873, la construction d'une route reliant Lannilis à l'Aber-Wrac'h (achevée en 1874), la desserte par le prolongement depuis Lannilis jusqu'à l'Aber-Wrac'h de la voie ferrée à partir de 1900 ont permis l'essor du port de l'Aber-Wrac'h.
Benjamin Girard décrit ainsi le port de l'Aber-Wrac'h en 1889 :
« L'Aberwrac'h (qui, en breton signifie "Havre de la Fée") n'est qu'un village formant une section de la commune de Landéda, et qui n'a d'importance que par son port, réputé un des meilleurs du littoral breton comme lieu de relâche ; aussi l'administration des Ponts et Chaussées a-t-elle beaucoup fait pour en faciliter l'accès aux nombreux navigateurs venant y chercher un refuge pendant la mauvaise saison, ce qui n'était pas sans difficultés, à cause des rochers dont ses abords sont hérissés. C'est elle qui, outre le phare de l'Île Vierge, intéressant la navigation générale, et dont l'allumage a eu lieu en 1845, a fait successivement construire, dans le chenal extérieur et au mouillage de l'Aberwrac'h, quatre feux de cinquième ordre qui sont ceux de l'île Vrac'h, de Lanvaon, de la Palue et de l'anse Saint-Antoine, et placer des amers (tourelles et bouées) sur les écueils les plus dangereux ; elle y a aussi fait construire un môle-débarcadère qui sépare la rade et le port et a 208 mètres de longueur sur 6 mètres de largeur avec une élévation de 4 mètres au-dessus des plus hautes marées, et assez récemment une aiguade. Le port est situé à l'entrée de la rivière qui porte son nom, entre l'anse des Anges et celle de Saint-Antoine ; la vaste rade qui le précède peut recevoir une très grande quantité de navires ; le mouillage y est très sur et la profondeur d'eau dans le chenal à mer basse n'est pas inférieure à 10 mètres[10]. »
« Le commerce maritime de l'Aberwrac'h est peu considérable : il consiste, comme importation, en charbon de terre pour la consommation locale et l'alimentation d'une usine de produits chimiques, qui y est établie depuis quelques années, et, comme exportation, en poissons, soudes provenant du goémon brûlé, etc. Voici quels ont été en 1885 les mouvements du port de l'Aberwrac'h, où une station de sauvetage a été établie en 1867 : Entrées : 134 navires, dont 20 au lest et 15 chargés, soit 35 venant de l'étranger et 90, dont 50 au lest et 40 chargés venant de divers ports français. Tonnage : 5 063 tonneaux. Équipages : 508 hommes. (...) Sorties : 133 navires, dont 43 allant à l'étranger, et 90, dont 50 au lest et 40 chargés pour divers ports français. (...) Dans cette statistique ne sont pas compris les navires qui ont relâché dans le dit port, pendant la même année. Le port de l'Aberwrac'h, le seul accessible aux grands navires sur toute la partie du littoral qui s'étend de Brest à Morlaix, serait appelé à un grand développement s'il était relié à la ligne ferrée de l'Ouest par un embranchement partant de Landerneau et desservant les riches contrées de la côte en passant par Lesneven et Lannilis. L'entrée du port de l'Aberwrac'h est défendu par le fort Cézon, dont Vauban renouvela les fortifications en 1695. (...)[10] »
Le port de l'Aber Wrac'h était très actif : « Actuellement [en 1898] trois cents barques s'y livrent, chaque année, à la pêche du poisson et du goémon : elles sont montées par 900 hommes »[11].
Charles Le Goffic décrit ainsi L'Aber-Wrac'h en 1900 : « Le pays (...) est extrêmement pauvre. La culture maraîchère aurait pu y réussir comme à Roscoff ; mais les débouchés manquaient ; tout le sol est sous lande ou sous blé noir. Une seule industrie : la fabrication de la soude. Les goémons coupés au large ou rejetés par la tempête sont d'abord mis en meules et séchés ; puis on les incinère dans des auges à fond de pierre, où les sels de potasse mêles à la cendre forment des sortes de grands pains qui sont vendus aux usines de l'Abervrach et de Porsal. Ces pains de soude, lessivés, servent à la fabrication de l'iode. Malheureusement le prix de l'iode, par suite de la concurrence chilienne, écossaise, norvégienne, allemande et même japonaise, a baissé dans des proportions énormes : de 150 fr le kg en est descendu à 12fr.50 ! Aussi l'existence des Abervranchins est-elle bien précaire. La pêche au large leur vient en aide depuis quelques années, surtout la pêche des langoustes et des homards qui est particulièrement abondante en ces parages. De grands viviers flottants à claire-voie ont été établis près du môle ; le prolongement jusqu'à l'Abervrach du petit chemin de fer de Brest à Lannilis ouvrira peut-être de nouveaux débouchés à cette industrie grandissante »[12].
Le journal La Lanterne écrit le : « Les conseils [municipaux] de Ploudalmézeau, de Plouguerneau et de Lannilis signalent une profonde misère. Les pêcheurs de Portsall, Plouguerneau, L'Aber Wrac'h demandent que des secours immédiats leur soient accordés »[13].
Les bateaux de sauvetage et les naufrages
Le , le canot de sauvetage Madeleine (canot à avirons de dix mètres de long lancé en 1901 et en service jusqu’en 1953, année où il fut remplacé par le François Rolland), de l’Aber-Wrac’h, sauva deux goémonières menacées de la noyade sur la roche de Karreg a Khéré et un homme et deux femmes qui étaient à bord du sloop ""Lilia"", qui venait de sombrer, et qui s’étaient réfugiés sur la roche de Karreg Barzin à un demi mille nautique au sud-ouest de l’Île Vierge[14].
L'abri du canot de sauvetage de l'Aber Wrac'h vers 1910.
Le canot de sauvetage de l'Aber-Wrac'h sortant de son abri vers 1910.
L'abri actuel du canot de sauvetage de l'Aber Wrac'h vu du quai.
Le , le sloop Arquebuse, de l'Aber Wrac'h, avec son équipage de trois goémoniers, disparut par gros temps au large de Portsall (trois noyés)[15].
Le projet d'usine marémotrice
En 1921, un projet d'usine marémotrice faillit aboutir, décrit ainsi par le journal Ouest-Éclair, sous le titre "La houille bleue dans l'Ouest" :
« Il consiste en l'établissement de deux barrages, l'un à Beg an Toul à 500 mètres en aval du pont de Paluden. Le barrage comprendra un pertuis de 9,50 mètres de large pour laisser passer les bateaux. Si le Conseil général du Finistère donne la subvention nécessaire, ce passage pourra permettre l'établissement d'une voie ferrée. Le deuxième barrage projeté est entre le Diouris et le Pont Créach, face au village de Kerandraon. Il doit régulariser l'action de la marée et permettre [à l'autre barrage] de fonctionner lorsque la mer sera étale. Ce barrage, destiné à recevoir l'eau douce, aura 30 mètres de hauteur et formera un réservoir de sept kilomètres de long qui dépassera le pont de Loc-Brévalaire et ira jusqu'au moulin de Guiziou (ce pont devra être surélevé). Un passage est prévu à hauteur du moulin actuel de Carman, pour joindre les communes de Kernilis et de Plouvien. (...)[16]. »
Le projet de ce barrage, lequel aurait eu 142 mètres de long, fut finalement abandonné en 1930, faute de financement.
« Les hôtels de l'Aberwrac'h ont été littéralement sur les dents pendant le mois d'août. Il s'est passé un fait qu'on n'avait encore jamais vu : un certain nombre de touristes de l'Aberwrac'h ont dû venir coucher dans les hôtels lannilisiens, et cependant les hôteliers de cette jolie plage avaient "réquisitionné" bon nombre de maisons particulières pour loger leurs clients. S'il fallait donner une proportion, nous indiquerions qu'il y eût environ trois fois plus de touristes que l'an dernier[17]. »
Le homard à l'Américaine est-il né à l'Aber-Wrac'h ?
Selon Jean Péron[18], pendant l'Entre-deux-guerres, deux plaisanciers américains avaient l'habitude de fréquenter le restaurant "La Baie des Anges" à l'Aber-Wrac'h pour y déguster du homard mayonnaise. Mais un jour ils arrivèrent à l'improviste sans avoir prévenu ; l'aubergiste décida alors de poêler et flamber les homards et de les accompagner d'une garniture de légumes. Il dit à ses clients qu'il baptisait en leur honneur sa nouvelle recette "homard à l'américaine"' même si par la suite l'expression "homard à l'armoricaine" a prévalu[19].
Toutefois cette histoire est très contestée ; l'hypothèse la plus retenue attribue la création du homard à l’américaine à Pierre Fraysse, un cuisinier natif de Sète qui, de retour des États-Unis, ouvrit en 1854 un restaurant dénommé Chez Peter's.
Le ramassage du goémon
En 1939, Yvonne Pagniez, dans un roman, Pêcheur de goémon, a décrit la vie des goémoniers de Plouguerneau, l'Aber-Wrac'h et Kerlouan coupant le tali, « ce goémon particulièrement riche en iode, dont le thalle brun et lisse, froid au toucher comme une peau de batracien, peut atteindre plusieurs mètres de longueur », à l'aide d'une faucille emmanchée d'un long bâton, le retour des barques, les charrettes attendant sur la plage pour emporter la cargaison d'algues, les chevaux entrant dans l'eau jusqu'au poitrail, la récolte du goémon d'épave après les tempêtes qu'il est interdit de ramasser avant que « les phares n'aient éteint leurs feux », l'opération qui consiste à brûler, sur des foyers de fortune, le goémon, pour en recueillir les cendres dont les usines se chargeront d'extraire l'iode[20].
Regards d'enfants sur les moulins de l'Aber-Wrac'h. Milinou an Aber-Ac'h gwelet gand bugale (bilingue), Plouvien, Skolig al Louarn, 2000, 223 p. en quadrichromie (ISBN978-2-951618-80-0)
↑André Davy, Les barons du Cotentin, Condé-sur-Noireau, Éditions Eurocibles, coll. « Inédits et introuvables du patrimoine Normand », , 319 p. (ISBN978-2-91454-196-1), p. 15.
↑Ronan Le Coz, Un musée sous la mer, revue ArMen, numéro 229, mars-avril 2019.
↑ a et bBenjamin Girard, La Bretagne maritime, C. Thèse, , 526 p. (lire en ligne).