Né Adolphe Philippe[a], dans une fratrie d'au moins cinq enfants[2], il est le fils naturel de Jacob Philippe et Guiton Dennery, d’origine israélite et alsacienne, qui tenaient un commerce d’habits dans le quartier du Temple[3]. Reconnu et légitimé au mariage de ses parents en 1812[4], il prend le patronyme de sa mère légèrement modifié en « d’Ennery »[b], au moment de signer sa première pièce, les deux seuls noms qu'il possédait étant occupés par deux autres vaudevillistes, Adolphe de Leuven ne signant alors ses ouvrages que du nom d’« Adolphe », et Dumanoir sous son prénom de « Philippe ». L’empereur l’ayant autorisé, sur l’avis du conseil d’État, à porter ce nom qu’il avait rendu célèbre, le tribunal civil de la Seine a régularisé sa position civile, le [5].
Sans fortune, d’Ennery a dû de bonne heure travailler pour vivre, n’ayant jusqu'à vingt ans qu'une soupente pour tout logement. Devenu commis dans un magasin de nouveautés à l’enseigne de : « À Malvina »[c][7], il s’enrôlait chaque dimanche soir dans la claque de l’Ambigu. C'est là qu’en entendant jouer des drames, est née son irrésistible vocation pour le théâtre. Sa première pièce a été écrite en collaboration avec Charles Desnoyers. Étant entré, à cette occasion, en relations avec Charles Desnoyers, un acteur médiocre également dramaturge, il a écrit avec lui, en 1831, sa première pièce, Émile ou le fils d’un pair de France, inspirée par le roman éponyme d’Émile de Girardin[8]. Cette pièce ayant été jouée avec succès au théâtre des Nouveautés, il a alors, malgré sa famille, quitté son magasin pour se lancer, sans ressources, dans la carrière dramatique, parvenant, grâce à son opiniâtreté et une inébranlable confiance en soi, à échapper à la misère en écrivant dans des journaux, en faisant jouer des pièces sur des petits théâtres jusqu'à parvenir, vers 1842, à prendre rang parmi les dramaturges les plus remarquables de son temps[2].
Auteur extrêmement prolifique, il a écrit, presque toujours en collaboration, plus de deux cents dix pièces, au cours de sa laborieuse carrière entre 1831 et 1887[d]. Servi par une fécondité et une imagination débordante, il a produit drames, revues, vaudevilles, opéras, féeries, comédies, opérettes, formant un total de six cent cinquante-neuf actes réunissant tous les genres, depuis le drame sombre, le vaudeville, la tragédie historique[10]. Sa pièce la plus populaire reste Les Deux Orphelines, drame en 5 actes écrit avec Eugène Cormon et créé le au théâtre de la Porte-Saint-Martin.
Jules Verne travaille pendant plusieurs années avec lui à l'adaptation au théâtre du roman Les Tribulations d'un Chinois en Chine. Les deux hommes finissent par se disputer et la collaboration cesse. En 1899, après la mort de D'Ennery, Pierre Decourcelle, petit-neveu de ce dernier, et Ernest Blum sont envisagés pour reprendre avec Jules Verne le projet mais il ne verra jamais le jour[14].
Il s’est encore occupé du Théâtre du peuple, avant de renoncer définitivement à toutes les entreprises de direction pour se consacrer uniquement à la production[10]. C’est également lui qui a convaincu Clairville, qui essayait échec sur échec sur la scène, à abandonner définitivement les planches pour la création dramatique à ses côtés[8]. Durant ses dernières années, il a également laissé mettre ses romans en feuilletons qu’il signait, mais où le journaliste et écrivain George Bonnamour tenait la plume[15]. Peu de temps avant sa mort, il travaillait encore avec Auguste Germain à une comédie de genre qui n’a pas vu le jour[3].
D’Ennery est l’un des fondateurs de la station balnéaire de Cabourg, créée en 1853, projet auquel il s’intéresse très tôt, attirant autour de lui de nombreuses personnalités du théâtre et des lettres. Il y possède une villa, L’Albatros, et la revente de terrains achetés au bon moment lui a permis de réaliser une belle plus-value immobilière[15]. Son activité et sa renommée sont telles qu’il devient maire de la ville, en 1855, et fonde la Société des Bains de Mer de Dives-Cabourg.
Au terme de près de trente ans de vie commune, il épouse, le , Joséphine-Clémence Lecarpentier, veuve Desgranges, dite Gisette[16], au domicile de cette dernière (en raison de son état de santé)[17]. L’écrivain Jules Verne faisait partie des témoins[17].
Clémence Desgranges avait commencé, dès 1859, une collection d’art asiatique, qui, d’abord présentée chez les Desgranges, avant la séparation, rue de l’Échiquier, fut ensuite transférée dans l'hôtel particulier du 59, avenue du Bois-de-Boulogne, devenu le domicile du couple d’Ennery.
Dès , le couple d’Ennery envisage de donner à l’État l’hôtel particulier et la collection poursuivie et enrichie au point d’atteindre plus de 6 000 objets. Émile Guimet et Georges Clemenceau[2]:200, exécuteur testamentaire du couple, sont chargés du dossier de la donation. La collection est aujourd’hui visible au musée d'Ennery, dépendance du musée Guimet[18].
Les derniers mois de la vie d'Adolphe d'Ennery sont une série d'épreuves ; contrairement à toute attente, son épouse Clémence meurt avant lui, en , et il hérite de tous ses biens en vertu d'une donation entre vifs signée avant leur mariage. Il est physiquement très affaibli par une succession d'attaques cérébrales. D'une relation en 1838, avec l'actrice Constance-Louise Bachoué, il avait eu une fille naturelle, Constance-Eugénie[f] ; reclus dans sa chambre et délirant[19], il la reconnaît in extremis comme légitime et en fait sa légataire universelle[20]. Ses neveux et nièces[g] attaquent en justice cette reconnaissance et le testament de d'Ennery, ce qui retarda jusqu'en 1901 la validation du legs de la collection à l’État[2].
Son esprit à l’emporte-pièce lui a valu d’être à plusieurs reprises le sujet de portraits ou de caricature par, entre autres[i], Alfred Le Petit, Nadar ou Claude Monet, qui l’a caricaturé en 1858[23].
La Société des amis d’Adolphe d’Ennery, fondée en 2015, a pour objet de faire connaitre Adolphe d’Ennery, d’étudier son œuvre et de mettre en ligne une encyclopédie enrichie d’articles sur l’auteur et son œuvre.
Jugements
« D’Ennery a fait, comme on sait, plus de deux cents pièces qui toutes ont eu un très grand succès. Comme charpentier, il est de la force de Scribe et de Sedaine. D’Ennery, cela de parti pris, ne s’est jamais préoccupé de la forme littéraire. Il parle avant tout la langue hachée du théâtre. Nul ne sait mieux que lui amener une scène émouvante et en tirer tous les effets qu’elle comporte. Il excelle à trouver le mot qui doit faire frémir ou pleurer les âmes sensibles qui sont dans la salle. De là vient l’étonnement qu’on éprouve quand on cause avec lui. Il parle une tout autre langue ; alors il est fin, spirituel, original. Si on le questionne sur ce point, il vous répond qu’il se garderait bien d’être tel dans ses drames et dans ses féeries, parce que ce qui fait de l’effet dans un salon en causant n’en ferait aucun à la scène. C’est un malin qui d’ailleurs ne sait pas cacher sa malice, que son œil fripon dévoile tout de suite[24]. »
: L'Aveugle, drame en 5 actes, en coll. avec Anicet-Bourgeois, à la Gaîté ; Les Chevaliers du brouillard, drame en 5 actes et 10 tableaux, en collaboration avec Ernest Bourget, Porte-Saint-Martin ()
: Faust, drame fantastique en 3 actes et 14 tableaux d’après Goethe, Porte-Saint-Martin ()
: Le Premier Jour de bonheur, opéra-comique en 3 actes, musique d’Auber, Opéra-Comique ()
: Don César de Bazan, opéra-comique en 4 actes, en collaboration avec Jules Chantepie d’après Victor Hugo, musique de Jules Massenet, Opéra-Comique ()
1874 : Le Tour du monde en quatre-vingts jours, pièce à grand spectacle en 5 actes et 15 tableaux, en collaboration avec Jules Verne d’après son roman, musique de Jean-Jacques Debillemont, Porte-Saint-Martin ()
: Une cause célèbre, drame en 6 parties, en collaboration avec E. Cormon, Ambigu-Comique () puis Porte-Saint-Martin ()
↑Philippe est son patronyme de naissance et non un deuxième prénom[1].
↑Raillant son titre nobiliaire, on lui demandait un jour : « Quels sont vos écussons ? » Sa réponse : « Une plume. »[3].
↑Selon certaines biographies, il aurait également été clerc de notaire, typographe, peintre, journaliste, mais le Journal amusant du à publié une réfutation de ces assertions par des amis du dramaturge[6].
↑Pierre Decourcelle, petit-neveu par alliance, Hippolyte Cerf, neveu, Hortense Janning, nièce née Philippe, et une nièce non identifiée.
↑L’obtention de cette cette promotion serait due à Henri Rochefort, un de ses grands amis. L’irascible journaliste républicain aurait renoncé à attaquer le député Delahaye, qui avait commencé une campagne contre le Président Félix Faure, en échange de la cravate de commandeur pour d’Ennery[15].
↑Il avait la dent dure. Goncourt a raconté qu’en 1863, ayant entendu Gisette s’écrier dans un moment de familière franchise : « Moi ! je suis mauvaise comme la gale ! », il avait riposté « Tu es priée de ne pas calomnier la gale[15] ! ». Il dit un jour à une jeune demi-mondaine : « Voyez ce que sont les choses. Moi, sans ma mère, je ne serais pas venu au monde, et vous sans la vôtre, vous ne seriez pas dans celui-ci[3] »
↑ abc et d« Le Testament d’Adolphe d'Ennery », Revue des grands procès contemporains, Paris, Chevalier-Marescq, t. 18, , p. 5-200 (lire en ligne sur Gallica).
↑Gustave Chaix d’Est-Ange, Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, t. 16, Évreux, C. Hérissey, , 480 p., 20 vol. ; in-8º (lire en ligne sur Gallica), p. 54-5.
↑ a et b« Adolphe d’Ennery », dans Figures contemporaines, tirées de l’album Mariani.... Soixante-dix-huit biographies, notices, autographes et portraits, Paris, Ernest Flammarion, 14 vol. : ill. ; 28 cm (lire en ligne sur Gallica).
↑Louis Bilodeau, « D'Ennery », Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, (lire en ligne, consulté le ).
↑J-M, « La Succession d'Adolphe d'Ennery », Gil Blas, Paris, vol. 20, no 7011, , p. 2 (lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
↑Georges d’Heylli, « La mort a frappé… », Gazette anecdotique, littéraire, artistique et bibliographique, Paris, 15-31 janvier 1899, p. 12-17 (lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
↑25e division Jules Moiroux (d), Le Cimetière du Père Lachaise, Paris, S. Mercadier, (lire en ligne sur Gallica), p. 128.
↑Amis et Passionnés du Père Lachaise (APPL), « ENNERY Adolphe d’ (1811-1899) », sur Cimetière du Père Lachaise – APPL, (consulté le )
↑Musée Marmottan, Adolphe Philippe d'Ennery, crayon noir, Legs Michel Monet, 1966.
↑Gustave Claudin, Mes souvenirs : les Boulevards de 1840-1870, Paris, Calmann-Lévy, , 4e éd., 349 p. (lire en ligne), p. 242-3.
Bibliographie
Henri Chevalier-Marescq (dir.), « Le Testament d'Adolphe d'Ennery », Revue des grands procès contemporains, Paris, Chevalier-Marescq et Cie, t. 18, (lire en ligne).
Joël-Marie Fauquet (dir.) et Louis Bilodeau, « D'Ennery », Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, (ISBN978-2-213-59316-6, lire en ligne, consulté le ).