Le manifeste des 343 est une pétition parue le dans Le Nouvel Observateur, appelant à la légalisation de l'avortement en France, en raison notamment des risques médicaux provoqués par la clandestinité dans laquelle il est pratiqué. Selon le titre paru à la une du magazine, il s'agit de « la liste des 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste Je me suis fait avorter »[1], s'exposant ainsi à des poursuites pénales pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement[2].
Le manifeste ouvre la voie à l'adoption, quatre ans après, de la loi Veil, qui dépénalise l'avortement.
Il est parfois surnommé « manifeste des 343 salopes », en raison d'une caricature parue dans Charlie Hebdo sous le titre « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste pour l'avortement ? »[3], alors que ce n'était pas le titre de ce manifeste.
« Un million de femmes se font avorter chaque année en France.
Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples.
On fait le silence sur ces millions de femmes.
Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté.
De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre. »
Suivent les 343 signatures, notamment celles de personnalités. Le total des signataires est supérieur, seuls 343 noms ont été retenus par Le Nouvel Observateur[5].
Le texte se positionne contre la proposition de loi déposée en par le médecin et député gaulliste Claude Peyret, qui prévoyait d'élargir l'avortement thérapeutique, déjà toléré depuis 1955, aux cas de viol[6]. Il y a une forte opposition des femmes au projet Peyret[7] et à l'ANEA (Association nationale pour l'étude de l'avortement) qui aurait régulé le corps des femmes avec un avortement partiel.
L'idée du manifeste a été lancée par Jean Moreau, chef du service documentation du Nouvel Observateur lors d'une discussion animée avec la journaliste Nicole Muchnik un soir de dans la salle de rédaction du quotidien[8]. L'idée provient du manifeste des 121 publié en 1960 pendant la guerre d'Algérie[9].
Simone Iff, alors vice-présidente du planning familial, se mobilise fortement à titre personnel pour obtenir un maximum de signatures de célébrités[5].
Impact
La semaine suivant la parution du manifeste, l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo a fait sa une du avec la question « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l'avortement ? », et une caricature, signée par le dessinateur Cabu[10],[11], de Michel Debré qui répond : « C'était pour la France ! »[12], valant à cette pétition d'être appelée familièrement le « manifeste des 343 salopes », un titre qui n'est pas celui des signataires[13]. Pour Maud Gelly, médecin hospitalier[12] :
« Que cette caricature, visant à ridiculiser un homme politique, ait au contraire laissé à la postérité une insulte machiste pour qualifier ces femmes, est assez significatif de l'antiféminisme qui préside parfois à la réécriture de l'histoire de la lutte des femmes. »
Le manifeste des 343 est un exemple notable de désobéissance civile en France. Aucune des signataires n'est poursuivie[14]. Il inspire en 1973 un manifeste de 331 médecins se déclarant pour la liberté de l'avortement.
L'année suivante, la première démonstration de l'avortement par la « méthode de Karman » en France avait eu lieu dans l'appartement de Delphine Seyrig en en présence de militantes du MLF, de Pierre Jouannet[15],[16], et de Harvey Karman[15], psychologue et militant pour la liberté de l'avortement en Californie depuis les années 1950[15]. Les médecins du Groupe information santé vont ensuite permettre à d'autres femmes de l'utiliser illégalement.
Le principe de la lettre trouve un écho en Allemagne. L'hebdomadaire Stern intitule son édition du de la même année Wir haben abgetrieben!, « nous avons avorté ! », signé par 374 femmes, certaines célèbres, comme les actrices Romy Schneider[18] et Senta Berger, d'autres inconnues. Encore de nos jours, ce numéro fait office de profession de foilibertaire au magazine Stern.
Le manifeste des 343 sert ensuite de modèle, en , au manifeste des 331, signé par des médecins favorables à l'avortement et affirmant l'avoir pratiqué pour des raisons humanitaires[19].
Par la suite, plusieurs autres manifestes, pour des causes différentes, font référence au manifeste des 343 :
en , le manifeste des 313[22] est publié à la suite de l'appel de Clémentine Autain contre les tabous qui entourent la dénonciation du crime de viol, appel que 313 noms complètent ;
le , le manifeste des 343 fraudeuses est publié dans Libération, dans lequel 343 femmes déclarent avoir enfreint la loi en recourant à la procréation médicalement assistée à l'étranger, et demandent son ouverture à toutes les femmes, y compris dans les familles homoparentales[25].
De nombreuses femmes témoignent anonymement. Il y a des figures de l’époque qui elles s’engagent aussi à prendre le risque de perdre leur carrière et leur statut (Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Catherine Deneuve, Catherine Bernheim, Catherine Deudon, Annie Zelensky, etc.). Concernant les femmes qui n'ont pas participé au manifeste des 343, en signant de leur nom, certaines d'entre elles témoigneront plus tard les raisons pour lesquelles elle ne pouvaient pas. Annie Ernaux est l'une d'entre elles. Elle explique avoir eu recours à l'avortement en 1964, dans un article de L'Humanité, elle écrit qu'« elle n'était rien », qu'elle était « totalement dans l'illégalité »[26] et il aurait été honteux de signer ce manifeste.
Sauf indication contraire ou complémentaire, les informations contenues dans cette section proviennent de la liste des signataires du manifeste[27],[28],[29], en reprenant les noms tels qu'ils ont été publiés, avec la même orthographe, mais en ajoutant les diacritiques sur les lettres capitales.
↑« « Manifeste des 343, dans les coulisses d’un scandale », sur Histoire TV : interruption volontaire d’un tabou », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑« Dépénalisation de l'avortement, 1971 », Archives et Mémoires, sur archives.memoires.cfdt.fr, CFDT, (consulté le ) : note de Jeannette Laot, membre de la commission exécutive de la CFDT, devant le Bureau national du , en faveur de la dépénalisation de l'avortement.
↑Sophie des Deserts, « L'histoire secrète du « Manifeste des 343 salopes » », Le Nouvel Observateur, no 2160, (lire en ligne).
↑Bibia Pavard, « Quand la pratique fait mouvement : La méthode Karman dans les mobilisations pour l'avortement libre et gratuit (1972-1975) », Sociétés contemporaines, no 85, , p. 43–63 (DOI10.3917/soco.085.0043).
↑Guy Richard et Annie Richard-Le Guillou, Histoire de l'amour : Du Moyen Âge à nos jours, Toulouse, Privat, coll. « Mémoire vive », (1re éd. 1985), 128 p. (ISBN2-7089-1716-1), p. 106.
↑Henri Leridon, La Seconde révolution contraceptive : La régulation des naissances en France de 1950 à 1985, Paris, PUF et INED, coll. « Travaux et documents » (no 117), , 380 p. (ISBN2-7332-0117-4), p. 21 [lire en ligne].