Ariane Mnouchkine est la fille de June Hannen (1918-2003) – elle-même fille et soeur des comédiens britanniques Nicholas Hannen(en) et Hermione Hannen[1] – et du producteur Alexandre Mnouchkine (1908-1993), lequel nomma sa société de production cinématographique Les Films Ariane.
Les grands-parents paternels d'Ariane Mnouchkine, Alexandre et Bronislawa, juifs russes, se sont convertis à la religion orthodoxe afin de pouvoir habiter Saint-Pétersbourg, ville alors interdite aux juifs. Malgré cela, après leur exil en France, ils seront envoyés au camp d'internement de Drancy d'où ils seront déportés[2] vers Auschwitz (convoi n° 63, parti de Drancy le 17 décembre 1943) où ils mourront[3].
Débuts
Ariane Mnouchkine fait ses débuts au théâtre lors d’une année à l’étranger à l’université d’Oxford en Angleterre, où elle devient membre de l’Oxford University Dramatic Society(en) (Association théâtrale de l’université d’Oxford)[4] et assistante de Ken Loach qui y finit ses études[1]. C’est là qu’elle décide de faire du théâtre son métier[4].
Le Théâtre du Soleil est fondé sous la forme d'une coopération de travailleurs dans un esprit communautaire. Sa structure collective, une pratique héritée des années 1960 qui s'est dissoute avec l'avènement des années 1980, jouit d'une longévité particulière. Quelques-uns des principes régissant le fonctionnement de la compagnie ont marqué les esprits : même salaire pour tous, maquillage en public, soupe servie aux spectateurs, Ariane Mnouchkine déchirant elle-même les tickets au contrôle de l'entrée[8]…
Ariane Mnouchkine s'est par la suite distinguée par le choix des sujets abordés, donnant souvent à réfléchir sur la condition humaine, et surtout par ses mises en scène très visuelles (ses fameux décors en mouvement présentant la scène sous différents angles, par exemple), soutenues par une véritable « bande-son », omniprésente, jouée en direct (sur le bord de la scène) par l'homme-orchestre Jean-Jacques Lemêtre, avec lequel elle collabore depuis 1979. Ces sujets présentent souvent des drames qui bouleversent ou ont bouleversé la planète pour faire du théâtre un moyen d'éclaircir l'histoire de notre temps : l'intégrisme dans Tartuffe, la lâcheté politique dans Tambours sur la digue.
En 2003, le Théâtre du Soleil monte Le Dernier Caravansérail (Odyssées), constitué de deux volets (Le Fleuve Cruel et Origines et Destins), narrant des épisodes de la vie de tous les jours, en Afghanistan, dans le Nord de la France à Sangatte, à partir d'où des réfugiés tentent d'entrer clandestinement en Angleterre, en espérant y trouver une vie qui leur est inaccessible dans leur pays d'origine. Les Éphémères, spectacle créé en 2006, également en deux parties (près de 3 h 15 par partie, ici nommées « recueils »), se déroule cette fois-ci en France. Ariane Mnouchkine, rompant provisoirement avec les grandes épopées, y met en scène de multiples tranches de vie, selon un rythme sans cesse brisé par une alternance de scènes hilarantes, mordantes, poignantes.
À partir de 2006, des membres du Théâtre Aftab de Kaboul viennent régulièrement en France travailler avec la troupe du Soleil[9].
En 2018, le , elle reçoit le Molière de la metteuse en scène d'un spectacle du théâtre public lors de la 30e édition des Molières (salle Pleyel) pour sa pièce Une chambre en Inde[11]. La pièce, qui avait été « oubliée par erreur en 2017 »[12], obtient le Molière du théâtre public[11].
Au cinéma
Au cinéma, elle participe en 1964 au scénario de L'Homme de Rio de Philippe de Broca. Puis, avec le Théâtre du Soleil, elle se lance d'abord en 1974 dans la captation filmée de leur spectacle 1789. En 1978, Ariane Mnouchkine pousse l'ambition plus loin et réalise une grande fresque, imposante, fougueuse et somptueuse, consacrée à Molière (avec Philippe Caubère dans le rôle-titre), qui sera ultérieurement diffusée en 1981 à la télévision sous la forme d'une série de cinq épisodes d'une heure et sous le titre Molière, ou la vie d'un honnête homme[13]. Toujours pour la télévision, elle adapte deux pièces d'Hélène Cixous : La Nuit miraculeuse en 1989 et Tambours sur la digue en 2003.
En 2011, à l'occasion du tournage du film tiré des Naufragés du Fol Espoir (Aurores), Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil inaugurent le concept de « DVD-mécène » et lancent une souscription auprès du public de la compagnie, « [son] précieux et plus fidèle public parmi les fidèles publics », afin de ne pas devoir sacrifier l'art aux contraintes de temps[14].
Engagements
En 1981, elle est co-solidaire de la publication Avis de recherche consacrée au soutien des appelés insoumis au service militaire[15].
Artiste engagée depuis toujours, elle signe en 2007 avec 150 intellectuels un texte qui appelle à voter pour Ségolène Royal, « "contre une droite d’arrogance", pour "une gauche d’espérance" »[16]. Elle aurait par ailleurs (ainsi que Didier Bezace), dispensé quelques conseils à l'ancienne candidate à l'élection présidentielle sur sa gestuelle, lors de la première Fête de la Fraternité, en , au Zénith de Paris[17].
Elle a rejoint le comité de soutien de l'association Primo Levi, qui gère un centre de soins à Paris destiné à des personnes ayant été victimes de la torture et de la violence politique dans leur pays d’origine et aujourd’hui réfugiées en France[18].
Collège de France
Nommée le par les membres du Collège de France professeur associé pour une période de douze mois à la chaire de création artistique, elle refuse d'abord le poste, croyant le devoir à Nicolas Sarkozy, avant d'envisager de l'accepter, ne voulant « pas faire de caprice auprès de gens qu['elle] admire et qu['elle] aime[19] », pour finalement le décliner[20].
Engagement en faveur des Tibétains
En 1997, Ariane Mnouchkine réalise Et soudain, des nuits d'éveil, spectacle qui traite, selon Liban Laurence et Maria Shevtsova, de l'occupation du Tibet par les Chinois[21],[22] et de ce que Mnouchkine appela en 2002 « l’oppression chinoise au Tibet »[23]. Elle signe un appel demandant la libération de Ngawang Sangdrol[24], et un autre demandant qu'une délégation du Comité des droits de l'enfant de l'ONU rende visite à un enfant tibétain en résidence surveillée depuis 1995 en Chine, Gedhun Choekyi Nyima, reconnu comme 11epanchen-lama par le 14e dalaï-lama[25]. En 2001, elle accueille dans son théâtre Moines danseurs du Tibet : monastère de Shechen, un spectacle organisé à l'occasion du nouvel an tibétain. Simultanément au même endroit ont lieu des rencontres avec Matthieu Ricard, des tibétologues et des historiens d'universités française et étrangères, et même des dissidents chinois, sur le thème « Faut-il vraiment danser avec la Chine ? »[26]. En , Ariane Mnouchkine co-anime, avec le Collectif Chine JO 2008, une opération appelant les coureurs du Marathon de Paris« à se mobiliser pour les droits de l'Homme en Chine et au Tibet »[27] et, selon Le Figaro, les Français « à orner leurs vêtements d'autocollants appelant la Chine, pays organisateur des Jeux olympiques en 2008, à respecter les droits de l'Homme, après la répression des récentes manifestations de Tibétains par Pékin[28],[29],[30]. »
La controverse Kanata
En décembre 2018, Ariane Mnouchkine et Robert Lepage prennent la décision de maintenir la programmation du spectacle Kanata à la Cartoucherie, malgré la controverse qu'il provoque : en effet, le spectacle, qui évoque le Canada à travers le regard d'un Amérindien, ne comprend pas d'acteur issu des Premières Nations, ce qui suscite une polémique au Canada. C'est la première fois qu'Ariane confiait sa troupe à quelqu'un d'autre[31].
Théâtre
Méthode, jeu et influences
Le théâtre d'Ariane Mnouchkine s'inscrit dans les traditions du théâtre de Vilar, Brecht ou Hegel, un théâtre qui renoue avec la nécessité du rapport entre théâtre et société.
Dans un esprit communautaire présent dès les débuts du Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine a pour coutume d'être présente en début et fin de spectacle, et ce, à chaque représentation.
Elle n'effectue jamais de travail à la table. Elle ne distribue pas les rôles, elle n'impose pas de personnages à ses acteurs, car ce sont eux-mêmes qui travaillent des situations, des états, et non pas des émotions. Pour Brigitte Rémer, Ariane Mnouchkine, à l'instar du metteur en scène britannique Peter Brook, est cheffe de file d'une « de ces troupes qui, comme des conclaves, se retirent du monde afin de construire, de manière intense et intime, leurs spectacles, avant de convoquer le public lorsqu'ils sentent qu'il est temps. » Aux dires de ses acteurs, « elle est le grand catalyseur, l'ordonnateur » qui fait que tout se coordonne et fonctionne[32].
Ses premiers grands succès sont La Cuisine d'Arnold Wesker (1967), puis 1789 (1970) et L'Âge d'or (1975), des créations collectives. Elle met ensuite en scène des auteurs classiques (Molière, Shakespeare, etc.) et des auteurs contemporains (Hélène Cixous, Arnold Wesker, etc.), en s'inspirant souvent des traditions orientales (théâtre indien, japonais, etc.)[33].
Ariane Mnouchkine affirme que le théâtre oriental est le vrai théâtre. Contrairement au théâtre occidental, qui « n'[a] créé que des formes réalistes »[34], le théâtre oriental l'attire vraiment, c'est ainsi qu'elle s'inspire surtout des formes asiatiques comme le Kabuki, le Nô et le Bunraku.
↑ a et b(en-GB) Andrew Dickson, « Ariane Mnouchkine and the Théâtre du Soleil: a life in theatre », The Guardian, (ISSN0261-3077, lire en ligne, consulté le ).
↑Fabienne Pascaud en résume la problématique et l'enjeu en ces termes dans l'hebdomadaire Télérama : « Vers une nouvelle responsabilité du spectateur-téléspectateur ? » (« Le courage du pire », Télérama, no 3201, 16 mai 2011). Voir aussi la Lettre aux souscripteurs publiée le 14 mai 2012 sur le site de la compagnie.
« À première vue, la pièce traite de l'occupation du Tibet par les Chinois. »
↑(en) Maria Shevtsova, « Ariane Mnouchkine in Tibet », PAJ (journal)(en) 63 (Volume 21, Number 3), September 1999 p. 72-78« The Théâtre du Soleil's four-month run to packed houses of Et soudain, des nuits d'éveil (And Suddenly, Nights of Awakening) is a tribute to the Tibetans who, in exile abroad or in internal exile under Chinese occupation, stand for the cause of resistance against annihilation. ».
« Le spectacle que nous avons réalisé précédemment, Et soudain, des nuits d’éveil ! — dont le thème était l’oppression chinoise au Tibet — était au contraire très simple dans sa forme, presque quelconque, voire réaliste. »
↑Brigitte Rémer, Fragments d'un discours théâtral : entre singulier et pluriel, de l'individualité créatrice à l'œuvre collective, Paris, Harmattan, , 356 p. (ISBN978-2-7475-2910-5), p. 85.
↑(en) Robert Barton et Annie McGregor, Theatre in your life, Australia Boston, Wadsworth Cengage Learning, , 512 p. (ISBN978-0-495-90197-6), p. 371 : « She has directed four Asian-themed (Cambodian, Indian, Tibetan, and Chinese) plays by Hélène Cixous. »
↑« For these reasons, the Inamori Foundation is pleased to present the 2019 Kyoto Prize in Arts and Philosophy to Mrs. Ariane Mnouchkine. » Voir sur kyotoprize.org.
↑Kyoto Prize 2019 : « Saviez-vous vraiment à qui vous décerniez ce prix ? », conférence commémorative présentée par Ariane Mnouchkine, lauréate du prix de Kyoto 2019 dans la catégorie « arts et philosophie » et entrevue avec Ariane Mnouchkine réalisée par Fumiko Kataoka, le 13 novembre 2019.