Nicolas Bouvier est le fils et dernier enfant du bibliothécaire Auguste Bouvier, spécialiste de la littérature de la guerre de Trente Ans et universitaire à Genève, et d'Antoinette Maurice, fille du compositeur Pierre Maurice. Il est un enfant rêveur, hypnotisé par les couleurs non seulement de ses atlas de géographie, mais aussi par les paysages exaltants du château de Coinsins, sur la Côte vaudoise, où il passe ses étés. Ce château était alors loué par son grand-père paternel, Bernard Bouvier. Des heures de lecture clandestine finissent de donner à l'enfant le goût d'aller voir ailleurs. Jeune, il lit le journal assidûment, ce qui le mène à s'intéresser à des guerres comme la guerre d'Espagne ou la guerre de Finlande. Le jeune Bouvier fait sa scolarité à l'école Brechbühl de Genève, école privée religieuse renommée puis au Collège de Genève, collège également renommé, fondé en 1559 par Calvin. Encouragé par son père qui voyagera, en quelque sorte, par procuration à travers son fils, Nicolas Bouvier part pour son premier voyage, effectué en solitaire, en Bourgogne[1], à dix-sept ans. Il est chargé de rapporter des timbres à son père, pour sa collection. Il suit des cours d'histoire médiévale, de sanskrit et de droit à l'Université de Genève.
En 1951, il effectue un premier voyage au long cours, avec Thierry Vernet et Jacques Choisy, de Venise jusqu'à Istanbul. Cette expédition mène à un petit opuscule, Douze gravures de Thierry Vernet. Trois textes de Nicolas Bouvier qui sera édité chez Kunding à une trentaine d'exemplaires. Puis, en , il repart en Fiat Topolino avec Thierry Vernet, de Belgrade à Kaboul, à travers la Yougoslavie, la Turquie, l'Iran et le Pakistan. Cette première partie du voyage est racontée dans L'Usage du monde.
Inde, Ceylan et Japon
Après un an et six mois de voyage, les deux amis se séparent, Thierry Vernet rejoint son amoureuse à Ceylan, et Nicolas Bouvier continue seul sa route à travers l'Inde afin de gagner la Chine. La route étant fermée pour des raisons politiques, il gagne Ceylan où, malade et déprimé, il reste neuf mois. Il décrira ce séjour dans Le Poisson-scorpion, publié en 1982, près de vingt-cinq ans plus tard. Il finit par embarquer, en , sur Le Vietnam, un paquebot français des Messageries maritimes, qui le conduit au Japon, où il reste une année, rédigeant des articles pour les journaux et magazines japonais. Il rentre par bateau à Marseille, fin 1956. Son expérience du Japon, augmentée d'autres séjours plus tardifs, donneront lieu à Chronique japonaise en 1970.
Mariage et autres voyages
En 1958, il épouse Éliane Petitpierre (1933-2022[2]), fille du conseiller fédéral Max Petitpierre et nièce de Denis de Rougemont, à Neuchâtel ; puis le couple s'installe à Cologny. De 1958 à 1963 (année de la mort de son père), il effectue des travaux d'iconographie pour l'OMS et la Nouvelle Bibliothèque Illustrée des Sciences et des Inventions des Éditions Rencontre. Au fil de ses travaux, il rassemble d'abondantes archives personnelles constituées notamment de 30 000 documents qui comprennent des estampes populaires et des planches techniques. De 1964 à 1965, ils séjourneront au Japon avec leurs deux enfants. D'autres voyages en Asie (Japon, Corée du Sud, Chine) ou en Europe (Irlande, îles d'Aran) suivront. En 1968, Nicolas Bouvier est lauréat du prix Rambert, qui est le plus ancien prix littéraire de Suisse romande, décerné par un comité d'étudiants. En 1970, Bouvier se rend à Osaka avec la Délégation suisse à l'occasion de l'exposition universelle de 1970. Il présentait à cet événement quatre livres qu'il avait adaptés pour l'occasion. Par la suite, il se rend en Corée du Sud sur l'île de Cheju. Ce voyage mènera au récit nommé Les Chemins du Halla-san, publié dans le Journal d'Aran et d'autres lieux aux éditions Payot en 1990[3].
Atteint d'un cancer, Nicolas Bouvier meurt le . Il est inhumé à Cologny.
Œuvre
L'œuvre de Nicolas Bouvier, jusqu'à récemment peu connue du public français, et notamment universitaire, est pourtant considérée comme un chef-d'œuvre de la littérature de voyage. L'Usage du monde, publié à compte d'auteur en 1963, a contribué à redéfinir la littérature de voyage au XXe siècle. Il est aujourd'hui une référence pour de nombreux voyageurs et écrivains. Bouvier expérimente aussi d'autres genres littéraires, comme le récit poétique ou le récit illustré (« iconotexte », qui se présente comme un « patchwork », une étroite collaboration entre texte et images avec les dessins de Thierry Vernet). Chez Bouvier, l'écriture naît du voyage et de la contemplation que ce dernier procure. François Laut, dont la biographie de l'écrivain a pour sous-titre L'Œil qui écrit, ne s'y est pas trompé.
L'inscription de L'Usage du monde au programme de la session 2018 de l'agrégation de lettres constitue une consécration pour l’œuvre littéraire de Nicolas Bouvier. Conséquemment à ce choix, de nombreux groupes d'études de Nicolas Bouvier se sont constitués en France métropolitaine et d'outremer, et, tandis que l'on voit se multiplier les publications savantes sur son œuvre, l'écriture de Bouvier, mélange d'ascétisme et d'abondance[4], longtemps restée confidentielle et goûtée seulement par un petit nombre d'amateurs privilégiés, est aujourd'hui reconnue dans le monde et les milieux littéraires[5], notamment grâce à la diffusion en de multiples éditions de L'Usage du Monde, devenu un best-seller, et à la traduction de ses livres.
Une orchidée qu'on appela vanille, éditions Métropolis, Genève, 1998, (ISBN2883400601)
Dans la vapeur blanche du soleil : les photographies de Nicolas Bouvier ; Nicolas Bouvier ; Thierry Vernet ; Pierre Starobinski ; Éditeur : Genève : Zoe, 1999. (OCLC42629321) (ISBN978-2881823589)
Le Japon de Nicolas Bouvier, éditions Hoëbeke, 2002 (ISBN2842301528) (réédition de Japon, éditions Rencontre - L'atlas des Voyages [réf. souhaitée])
Le Vide et le Plein (Carnets du Japon, 1964-1970), éditions Hoëbeke 2004 (ISBN2842301765)
Œuvres, Gallimard, 2004 (ISBN2-07-077094-X) (1428 pp, sous la direction d'Éliane Bouvier, préface de Christine Jordis). Contient : Premiers écrits ; L'Usage du monde ; La Descente de l'Inde ; Chronique japonaise ; Le Poisson-scorpion ; Le Dehors et le Dedans ; Voyage dans les Lowlands ; Journal d'Aran et d'autres lieux ; L'Art populaire en Suisse (extraits) ; Histoires d'une image ; Le Hibou et la baleine ; La Chambre rouge ; La Guerre à huit ans ; Routes et déroutes + photographies, cartes, documents, biographie.
To exo kai to mesa - Le Dehors et le Dedans, Éditions Stigmì-Zoé, Athènes et Carouge-Genève, 2008 (traduction en grec de Bertrand Bouvier).
Poussières et musiques du monde, CD Enregistrement de Zagreb à Tokyo
Correspondance des routes croisées 1945-1964, texte établi, annoté et présenté par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann, Éd. Zoé, Genève, 2010, 1650 pages (ISBN978-2881826757).
Il faudra repartir, Voyages inédits, éditions Payot, 2012, (ISBN978-2228909150), textes réunis et présentés par François Laut, édition établie en collaboration avec Mario Pasa.
Genève; La Suisse est folle; Geneva; Switzerland is crazy, éditions Héros-Limite, 2019, (ISBN978-2889550036), édition bilingue établie et préfacée par Alexandre Chollier.
Du coin de l’œil - Écrits sur la photographie, éditions Héros-Limite, 2019 (ISBN978-2889550227).
À Saint-Malo, le festival Étonnants voyageurs décerne chaque année le prix Nicolas Bouvier, qui distingue un texte de grande exigence littéraire prolongeant l’esprit de son œuvre[6]. Une rue de la ville, située face à la gare, porte également son nom.
Une promenade arborée porte également son nom à Lancy (canton de Genève), la ville de naissance de l'auteur : la promenade Nicolas Bouvier.
Archives
Fonds Nicolas Bouvier (19e-21e siècles) [20,5 mètres linéaires, papiers personnels, photographies, souvenirs, collection d'autographes et correspondances, notes et travaux de cours, œuvres inédites et publiées (poèmes, journaux et récits de voyages, journal photographique, carnets de route et carnets de notes, feuilles murales, dossiers de rédaction et de recension, conférences, émissions radiophoniques et télévisuelles, films, articles, etc.), archives audios et films, archives papier du fonds iconographique]. Cote : CH-000007-9 CH BGE Arch. Bouvier 1-22, 22bis-83, 83bis-137, 138A-B, 139-224. Genève : Bibliothèque de Genève (présentation en ligne).
Sous-fonds : Famille Bouvier et alliées (19e-21e siècles) [c. 1 mètre linéaire, papiers des membres des familles Bouvier et Ott, Maurice, Petitpierre, correspondances, souvenirs, photographies, documents épars]. Fonds : Nicolas Bouvier; Cote : CH-000007-9 CH BGE Arch. Bouvier 1-11. Genève : Bibliothèque de Genève (présentation en ligne).
Adrien Pasquali, Nicolas Bouvier. Un galet dans le torrent du monde, Coll. Écrivains, Carouge, Éditions Zoé, 1996, 159p.
Coll. Autour de Nicolas Bouvier, Textes réunis par Christiane Albert, Nadine Laporte et Jean-Yves Pouilloux, Ed. Zoé, coll. Résonances, 2002, 188p.
Anne-Marie Jaton, Nicolas Bouvier. Paroles du monde, du secret et de l'ombre, Presses polytechniques et universitaires romandes, Coll. Le savoir suisse no 12, 2003, 138p.
Biographie figurant dans Œuvres (Gallimard, 2004 ; voir section Publications)
Gérard Cogez, "Nicolas Bouvier", Les Écrivains voyageurs au XXe siècle, Paris, Seuil, 2004, p. 179-206.
Gérard Cogez, "Fictions japonaises de Nicolas Bouvier", Partir pour écrire. Figures du voyage, Paris, Honoré Champion, 2014, p. 145-164.
Jean-Xavier Ridon, Le Poisson-Scorpion de Nicolas Bouvier (2007), ACEL – Infolio éd., coll. Le cippe, 2014, 128 p.
Olivier Salazar-Ferrer, L'Usage du monde de Nicolas Bouvier (2015), ACEL – [1] éd., coll. Le cippe, 2015, 128 p.
Hervé Guyader, Nicolas Bouvier, espace et écriture, Carouge-Genève, Zoe, , 270 p. (ISBN978-2-88182-680-1)
Coll. Nicolas Bouvier, Europe no 974-975, juin-
Nadine Laporte, Nicolas Bouvier, passeur pour notre temps, Paris, Le Passeur éditeur, , 238 p. (ISBN978-2-36890-383-4)
Matteo Maillard et Antoine Harari, « Sur les pas de Nicolas Bouvier », Le Courrier, , p. 19-20 (lire en ligne, consulté le ) — Reportage à Galle au Sri Lanka, où Nicolas Bouvier vécut en 1955. Rencontre avec Éliane Bouvier.
Olivier Salazar-Ferrer et Saeko Yazaki, Chronique japonaise de Nicolas Bouvier, ACEL – Infolio éd., coll. Le cippe, 2018, 128 p.
Clara Arnaud dans son récit Sur les chemins de Chine Gaïa éd. 2018, cite Nicolas Bouvier : « Impossible de ne pas évoquer ce qui fut peut-être le plus fin mot de Nicolas Bouvier : Le monde comme une eau vous traverse, et pour un temps vous prête ses couleurs puis se retire, et vous place devant le vide, que l'on porte en soi, cet espace d’insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre et qui paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr »[7].
Vidéographie
Le Hibou et la Baleine, Nicolas Bouvier un film de Patricia Plattner, 1993, Suisse, 56 min.
Nicolas Bouvier, 22 hospital street un film documentaire de Christophe Kühn aux Éditions Zoé — Ce film entreprend de partir sur les traces de Nicolas Bouvier et de découvrir ce qui lui est arrivé durant son séjour au Sri Lanka, séjour qu'il a raconté dans son livre Le Poisson-scorpion. Peu à peu, on comprend que cet épisode de sa vie a été décisif pour la suite du parcours du photographe et auteur genevois et qu'il est le point de départ et la pierre angulaire de sa conception du voyage en tant que leçon d'humilité.
Articles connexes
Ella Maillart, autre Genevoise (et Valaisanne d’adoption), contemporaine de Nicolas Bouvier, elle aussi voyageuse et photographe.
Ingrid Thobois, Les sorciers meurent aussi, éd. Livres du Monde, 2013 : poèmes et collages, autour de l’œuvre et des voyages de Nicolas Bouvier[8].
Bertrand Bouvier, néohelléniste, cousin de Nicolas, a traduit en grec moderne son livre Le Dehors et le Dedans.