Campagne présidentielle de François Mitterrand en 1974En 1974, François Mitterrand décide de se présenter pour la seconde fois à l'élection présidentielle. Du 8 avril au 17 mai, il va mener sa campagne électorale et tenter de ramener la gauche au pouvoir après seize années de gaullisme. Les préparatifs de campagneDès le mois de décembre 1973, François Mitterrand avait demandé à Claude Perdriel, le patron de l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur, de diriger sa campagne[1],[2]. Normalement, l'élection présidentielle aurait dû se tenir en 1976[1],[3]. Perdriel estimait qu'une année serait nécessaire pour préparer une telle campagne. Néanmoins, la mort de Georges Pompidou, dont seuls les mieux informés, principalement à Paris et à Washington, D.C., étaient au courant de la nature de sa maladie, changea la donne[4],[5]. La mort du président fut officiellement annoncée à 21 h 58 par un communiqué du palais de l'Élysée transmis par l'AFP :
Le premier secrétaire du Parti socialiste apprend la nouvelle à 22 h 30 alors qu'il se trouvait à la brasserie Lipp à Paris pour préparer un discours[7],[8],[9]. Rentré chez lui, il écrivit un communiqué pour rendre hommage à Georges Pompidou, dont Jean Lacouture rapporte un extrait :
Dès le lendemain, François Mitterrand commence à préparer sa candidature. Une réunion avec ses fidèles à l'Assemblée nationale pour faire le point sur le Premier choc pétrolier fut ainsi annulée et reportée. Il se veut injoignable au téléphone. Dès le mois de janvier, il avait émis l'hypothèse d'une candidature unique de la gauche[10]. Robert Fabre, Edmond Maire et Georges Marchais tentent de le joindre, sans succès[11]. Le jour même, le no 2 du PCF Paul Laurent et Roland Leroy prennent rendez-vous auprès de Claude Estier et de Gérard Jacquet[12],[4]. Le bureau national du Mouvement des radicaux de gauche se prononce en faveur de sa candidature, tandis que le comité central du Parti communiste français met en avant l'idée d'une candidature commune des partis de l'Union de la gauche[11]. Le 1er avril, il avait déclaré dans L'Express :
En vérité, François Mitterrand sait depuis longtemps qu'il sera de nouveau candidat. Georges Marchais lui envoie une lettre pour lui faire part de la décision des communistes, qu'il lui remet en main propre à l'Assemblée nationale le 4 avril. Lors de leur entretien, Marchais souhaite inciter son partenaire à se lancer. Mitterrand lui répondit assez sèchement :
Pendant la cérémonie d'hommage à Georges Pompidou, une dépêche de l'AFP tombe à 16 h 09. Jacques Chaban-Delmas annonce sa candidature. Le même jour, il incite le syndicaliste Charles Piaget, meneur de la grève à Besançon et membre du Parti socialiste unifié, à se lancer dans la campagne[13]. Néanmoins, il souhaite garder les mains libres, et laisse Pierre Mauroy lui répondre[4]. À propos de l'entretien avec Marchais, il ne se veut pas dupe auprès de Jacques Attali : Le lendemain, le maire de Lille se rend place du Colonel-Fabien pour porter la réponse à Georges Marchais. Interloqué, le secrétaire général du PCF répond à Mauroy :
François Mitterrand a décidé entre-temps de mettre ses fonctions de premier secrétaire entre parenthèses, et confie l'intérim à Pierre Mauroy. Le 5 avril, le comité de liaison des partis signataires du Programme commun proposent sa candidature, initiative qui reçoit le soutien de la CGT et de la CFDT. Malgré tout, François Mitterrand reste muet sur ces intentions et passe quelques jours dans la Nièvre. Pendant ce temps, il organise son équipe de campagne. Le maire de Château-Chinon confie à Claude Perdriel la publicité et la propagande, assisté par Claude Estier, la direction financière de la campagne à André Rousselet, assisté de Pierre Joxe, tandis que Jacques Attali fut chargé du programme, assisté de Jean-Pierre Chevènement, et fut le coordinateur de son état-major de campagne[16]. Gaston Defferre est lui chargé de l'organisation des meetings, assisté par Louis Mermaz pour l'action départementale[17]. Il choisit son ami Georges Dayan comme directeur de campagne. Charles Hernu fut chargé des relations avec les élus et Jacques-Antoine Gau de celles auprès des parlementaires, Georges Beauchamp de la coordination, Joseph Franceschi du service d'ordre lors des manifestations, Paul Legatte de la documentation, Jean-Pierre Cot et Pierre Guidoni furent chargés de l'analyse politique, tandis que Robert Badinter le représentait auprès de la Commission Nationale de Contrôle et que Georges Fillioud s'occupait des relations avec la presse. Grâce à un promoteur immobilier nommé Jean-Claude Aaron, une connaissance d'André Rousselet, l'équipe de campagne de François Mitterrand s'installe au troisième étage de la Tour Montparnasse qui vient d'être inaugurée[1],[2]. Le candidat insiste pour qu'un loyer soit versé (60 000 F, pour six semaines). Il bénéficie également du soutien de Jean Daniel, le directeur de la réduction du Nouvel Observateur[1]. Le 8 avril, un Congrès extraordinaire du PS à la salle de la Mutualité approuve la candidature du premier secrétaire à l'unanimité par 3 748 mandats. Aux militants présents, il s'exclama sur sa candidature : « Vous voulez que je sois votre candidat ? Je le serai ! »[18],[19]. Le Parti communiste annonce son soutien à Mitterrand deux jours plus tard. Avec le soutien des Radicaux de gauche, François Mitterrand devient de fait le candidat unique de l'Union de la gauche (même s'il préférait se présenter en candidat de « rupture » avec la politique gaulliste)[5]. De plus, le Parti socialiste unifié fut associé à la campagne grâce à Jacques Attali qui a réussi a convaincre Michel Rocard et la direction du parti d'y participer. Auparavant, le PSU avait renoncé à présenter la candidature du syndicaliste Charles Piaget (par 48 voix contre, 35 pour et 1 abstention). Le 11 avril, la CFDT confirmait le choix du bureau fédéral du 5 lors d'un conseil national. La campagneFrançois Mitterrand comprend très tôt l'enjeu du scrutin et voit déjà la campagne perdue. Le 5 avril, il déclare à Jacques Attali :
Il a même peur d'un éventuel coup d'État en cas de victoire, et envoya deux émissaires s'assurer du soutien de Willy Brandt à Bonn[21]. Plusieurs meetings sont organisés pour le premier tour à Ajaccio, Bordeaux, Brest, Caen, Clermont-Ferrand, Dijon, Lille, Lyon, Metz, Montpellier, Nice, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulouse et Paris à la porte de Versailles. Sept conférences de presse furent organisées[22]. Dans sa conférence de presse du 12 avril, il présente ses propositions qui sont la reprise des mesures annoncées par le Programme commun, conjuguées à certains idéaux socialistes. Néanmoins, il s'y référa le moins possible durant la campagne[23]. La mise en œuvre de ce programme particulièrement vaste serait organisée en trois temps : d'abord, un plan de six mois autour de mesures économiques et sociales (l'échelle mobile des salaires, indexation de l'épargne sur les prix, relèvement du SMIC à 1 200 francs...) ; ensuite, un plan sur dix-huit mois destiné à lutter contre les causes structurelles des inégalités et de l'inflation (retraite à soixante ans, cinquième semaine de congés payés, réduction du temps de travail, restructuration industrielle, nationalisations, maîtrise du crédit...) ; enfin, un plan de cinq ans chargé d'adapter la société à de nouveaux concepts et droits (droit de vivre, temps de vivre). François Mitterrand prend la précaution de riposter aux attaques de la majorité présidentielle sortante en affirmant le maintien de la France dans l'Alliance Atlantique tout en prévoyant une « Charte des libertés », interdisant quiconque de lui jeter la liberté au visage[24]. Le 16 avril, il annonce qu'il nommera un Premier ministre en cas de victoire. Interrogé par Franz-Olivier Giesbert sur sa démarche, il répondit :
Le lendemain, Paul Laurent et Roland Leroy se rendent Cité Malesherbes pour demander des explications à Pierre Mauroy, mais aussi pour manifester leur agacement :
Le soir même, il débat sur Europe 1 avec Jacques Chaban-Delmas qu'il domine copieusement[26],[27]. Lors du second débat radiodiffusé par à Valéry Giscard d'Estaing, il est beaucoup plus malmené[28],[29]. Hormis la presse de gauche, tous les quotidiens statueront en faveur du ministre des Finances[30]. Au fil de la campagne, il reprend confiance, comme en témoigne Jacques Attali :
Le 19, il est victime d'un canular annonçant qu'il se retirait de la campagne[32]. Le 25 avril, le meeting de la porte de Versailles réunit plus de 80 000 personnes, en présence des représentants des partis de l'Union de la gauche[33]. Les 2 et 3 mai, il se livre à deux autres débats sur RTL face à ses deux principaux concurrents. Dans Le Monde, le journaliste André Laurens décrit l'attitude de François Mitterrand qu'il a rencontré chez lui, rue de Bièvre :
Le 5 mai, il apprend les résultats à la mairie de Château-Chinon. Avec 43,25 % des suffrages, il obtient moins que le dernier sondage publié par l'Ifop[35],[36]. Roland Leroy raconte la soirée :
Ensuite, il déclare à l'issue du premier tour à Jacques Attali :
Pour le second tour, il reçoit le soutien de nombreuses personnalités : Marcel Amont, Hervé Bazin, Guy Bedos, Costa-Gavras, Dalida, Marie Dubois, Marguerite Duras, Vladimir Jankélévitch, Auguste Le Breton, Georges Moustaki, Michel Piccoli, Serge Reggiani, Françoise Sagan, Jean-Louis Trintignant, François Truffaut[39]. D'anciens gaullistes le rejoignent, comme Romain Gary, Jean-Marcel Jeanneney, Jacques Debû-Bridel, Philippe Viannay, Louis Vallon ou Daniel Cordier[40],[37]. Sa seule chance de l'emporter reste de remporter le débat télévisé. Cependant, il se prépare mal, se montre beaucoup trop détendu, comme dans le portrait d'André Laurens[38]. L'après-midi précédent le débat, il fait une longue sieste qui l'empêche d'être bien préparé[41]. Il est largement dominé par Valéry Giscard d'Estaing, et abuse des références au général de Gaulle[42]. Son passé politique joue contre lui, et le ministre des Finances passe très bien à la télévision[43],[44]. Mitterrand perd l'élection lorsque Giscard d'Estaing prononce la célèbre phrase : Le lendemain, un sondage réalisé la Sofres donne Giscard d'Estaing vainqueur[45]. Il mène campagne jusqu'au bout avec d'autres meetings à Bar-le-Duc, Nancy et Marseille, et rend visite à Alain Poher le 17 mai[46]. Le président du Sénat l'informe que les rapports de renseignements généraux le placeraient en tête pour le second tour. Le soir même, il tient son dernier meeting à Grenoble en compagnie de Pierre Mendès France[47]. Le 19 mai au soir, nombreux sont ses partisans qui se pressent à la Tour Montparnasse. Lui se trouve dans la Nièvre auprès d'un ami malade, le sénateur Fernand Dussert. C'est chez son ami qu'il apprend les résultats[48]. Avec 49,19 % des suffrages, il est battu par Valéry Giscard d'Estaing dans ce qui reste encore aujourd'hui l'élection la plus serrée de l'histoire de la Ve République. Dans la soirée, il rejoint ses troupes à la Tour Montparnasse et partage avec eux leur déception. Le lendemain, il réunit une dernière fois son état-major de campagne et déclare :
Le 23 mai, il explicite sa pensée dans un entretien avec Jean Daniel :
AnecdoteEncore en 1988, François Mitterrand avait en travers de la gorge sa défaite de 1974, comme en témoigne Jacques Attali : La polémique sur L'Archipel du GoulagLe manuscrit livre d'Alexandre Soljenitsyne est sorti clandestinement d'Union soviétique et publié en 1973 en Allemagne de l'Ouest et en France dans sa langue originale. L'ouvrage se voulait une critique du régime, notamment à l'époque de Staline[51]. Le , l'écrivain fut condamné au bannissement par le Soviet suprême. Le Nouvel Observateur fait la promotion de l'ouvrage en France, ce qui entraîne des attaques de la part du Parti communiste français[52]. Pendant plusieurs semaines, le quotidien L'Humanité s'oppose à l'hebdomadaire, dont François Mitterrand pris la défense dans l'hebdomadaire du parti L'Unité. De fait, durant la campagne électorale, François Mitterrand dût sans cesse se défendre à cause de ses liens avec les communistes, et manifesta à plusieurs reprises sa volonté de rester dans l'OTAN. Le livre fut publié le en langue française aux Éditions du Seuil[52]. L'écrivain fut soutenu par les intellectuels de gauche qui ont quitté le Parti communiste après l'insurrection de Budapest et le printemps de Prague. Références
Voir aussiBibliographie
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