La classe Wickes est une classe de cent onze destroyers de l'United States Navy construits entre 1917 et 1921 et actifs jusqu'en 1946. Parallèlement à la classe précédente Caldwell de six destroyers et à la classe suivante Clemson de 156 destroyers, la classe Wickes est composée de destroyers de type flush deck ou four-stack (quatre cheminées). Seuls quelques-uns des navires de la classe sont achevés à temps pour servir lors de la Première Guerre mondiale, dont l’USS Wickes (DD-75), premier navire de la classe[n. 1].
Alors que certains navires sont démolis dans les années 1930, le reste sert lors de la Seconde Guerre mondiale. La plupart d'entre eux sont convertis à d'autres usages et la quasi-totalité des navires en service dans l'US Navy est modifiée. La moitié de leurs chaudières et une à plusieurs cheminées sont enlevées afin d’augmenter la capacité d’emport de carburant et, donc, leur rayon d’action, ainsi que le nombre de troupes embarquées. D'autres ont été transférés à la Royal Navy et la Marine royale canadienne, dont certains sont plus tard transférés à la Marine soviétique. Tous sont mis au rebut dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale.
Contexte
Le destroyer est à cette époque un type de navire de combat relativement nouveau en particulier pour la marine américaine. Il est conçu en réponse au développement des torpilleurs qui apparaissent dans les années 1860 et notamment lors de la guerre de Sécession, et surtout après le développement de la torpille autopropulsée Whitehead[5]. Au cours de la guerre hispano-américaine, on se rend rapidement compte de la nécessité de disposer de navire capable de faire écran aux torpilleurs et protéger des navires plus grands et très couteux comme les cuirassés, si bien qu'un conseil spécial des plans de guerre dirigé par Theodore Roosevelt publie un rapport urgent plaidant pour le développement de ce type de navire[6].
Une série de destroyers avait été construite au cours des années précédentes, conçu pour de hautes vitesses par mer calme, mais avec des résultats médiocres par grosse mer et gros consommateur de carburant[7]. La leçon de ces premiers destroyers permet de comprendre la nécessité de disposer de véritables capacités maritimes et qui tiennent bien la haute mer[8]. La Navy ne disposant que de quelques croiseurs (aucun croiseur n'a été lancé depuis 1908), parmi une flotte essentiellement composée de cuirassés et de destroyers, de sorte que ces derniers effectuent des missions de reconnaissance. Un rapport d'octobre 1915 du capitaine William Sims note que les petits destroyers consomment leur carburant beaucoup trop rapidement, et les simulations et plans de guerre montrent la nécessité pour les navires rapides de disposer d’un plus grand rayon d'action. En conséquence, la taille des classes de destroyers américains augmente régulièrement, entre 1905 et 1916, leur tonnage passe de 450 tonnes à plus de 1 000 tonnes[9]. Depuis, l'augmentation de la taille de destroyer n'a jamais cessé, notamment avec les classes de destroyer actuelles Arleigh Burke, 10 800 tonnes à pleine charge, et Zumwalt 14 564 tonnes à pleine charge. La nécessité d'obtenir une grande vitesse, une capacité de croisière économique, des performances en haute mer, et une capacité élevée de carburant pousse au développement de navires à grandes coques, à l'utilisation du fioul, à la réduction des turbines à vapeur avec des turbines de croisière, et à augmenter les capacités en carburant[10].
Avec le début de la Première Guerre mondiale, en particulier à partir de sa deuxième année et de l'augmentation des tensions entre l'Allemagne et les États-Unis, ces derniers décident d'élargir leur marine. La loi navale de 1916 (Naval Act of 1916(en)) appelle à une marine « à nulle autre pareille », capable de protéger à la fois les côtes Atlantique et Pacifique des États-Unis. La loi autorise la construction de 10 cuirassés, 6 croiseurs de bataille de classe Lexington, 10 croiseurs légers de classe Omaha, et 50 destroyers de classe Wickes[11]. Le General Board of the United States Navy recommande ultérieurement la construction d’un plus grand nombre encore de destroyer afin de lutter contre la menace des sous-marins. Finalement, c’est un total de 267 destroyers construits de classe Wickes et Clemson. Cependant, la conception des navires demeure optimisée pour un fonctionnement avec la flotte de cuirassés[12].
Conception
Les exigences pour cette nouvelle conception sont une grande vitesse et la production de masse. En effet, le développement de la guerre sous-marine pendant la Première Guerre mondiale crée le besoin d’un grand nombre de destroyers, ce qui n’avait pas été envisagé avant la guerre. De même, une vitesse de pointe de 35 nœuds (65 km/h) est nécessaire pour opérer avec les navires de la classe Lexington et de la classe Omaha. Le désigne final utilise une plate-forme du type Flush deck et quatre cheminées. C’est une évolution directe de la classe Caldwell précédente. L'insatisfaction générale avec les modèles antérieurs " 1 000 tonnes " (classe Cassin et Tucker) conduit à cette évolution de la coque du type flush deck. Une grande largeur et une structure flush deck fournissent une plus grande résistance de la coque. En outre, la classe Wickes dispose de 26 000 ch (19 000 kW) (soit 6 000 ch (4500 kW) de plus que la classe Caldwell), fournissant un supplément de cinq nœuds (9,3 km/h). L'agencement de machines de certains des Caldwells a été utilisé, avec des turbines à vapeur orientées sur deux arbres[3],[13].
La puissance supplémentaire nécessite un moteur plus lourd de 100 tonnes et la réduction de la transmission. La conception comprend une quille et des arbres d'hélices presque horizontaux pour réduire le poids. Comme la construction est entreprise par dix constructeurs différents, il y a des variations considérables dans les types de chaudières et turbines installées afin de répondre à l’exigence de vitesse. Cependant, il y a essentiellement deux modèles de base ; un pour les navires construits par les chantiers Bethlehem Steel (y compris Union Iron Works) et un autre utilisé par les chantiers navals restants, préparé par Bath Iron Works.
La classe Wickes ne dispose finalement que d’un faible rayon d’action du fait de sa forte consommation de carburant, de plus sa forme sans gaillard d'avant ne protège pas le pont principal, la passerelle et le canon avant des fortes vagues et des projections d’eau. La poupe effilée développée pour faciliter de déploiement de charge de profondeur, creuse dans l'eau et augmente le rayon de braquage, entravant finalement ses capacités anti-sous-marines[14]. Afin de pallier certains de ces défauts, la classe Clemson ajouté 100 tonnes de réservoirs de carburant pour améliorer son rayon d'action, mais ce problème, n'est véritablement résolue que par le développement du ravitaillement en mer lors de la Seconde Guerre mondiale.
Armement
L'armement principal est le même que celui de la classe Caldwell : quatre canons de 4 pouces 50 calibres, et douze tubes lance-torpilles de 533 mm. Alors que l'armement d’artillerie est typique pour les constructions de cette période, le système de torpille est plus grand que d'habitude, en conformité avec la pratique américaine de l'époque. Un des facteurs dans la taille de cet armement est la décision du General Board of the United States Navy d'utiliser le flanc du navire plutôt que la ligne médiane pour les tubes lance-torpilles[15]. C'est dû à la volonté d'avoir quelques torpilles restantes après la mise à feu d'un flanc, et les problèmes rencontrés avec le montage sur la ligne centrale des précédentes classes où les torpilles cognaient les plats-bords après un tir[16]. La torpille Mark 8 équipe initialement la classe et demeure probablement la torpille standard sur la durée de vie de cette dernière, avec notamment 600 torpilles Mark 8 remises aux Britanniques en 1940 dans le cadre du Destroyers for Bases Agreement[17].
Le programme continue après la guerre : 21 destroyers de la classe Wickes (et neuf de la classe Clemson) sont lancés après l'armistice, le 11 novembre 1918. Le dernier navire de la classe Wickes est lancé le 24 juillet 1919[4]. Ce programme laisse l'US Navy avec un si grand nombre de destroyers qu'aucun nouveau destroyer n'est construit jusqu'en 1932[21].
Quelques navires de classe Wickes sont achevés à temps pour servir lors de la Première Guerre mondiale, certains avec la flotte de combat, certains comme escortes de convoi ; aucun n'a été perdu. L'USS DeLong (DD-129) s'échoue en 1921 ; l'USS Woolsey (DD-77) coule après une collision en 1921. Beaucoup de destroyers de classe Wickes sont convertis à d'autres usages dès 1920, avec 14 navires convertis en mouilleur de mines légers (DM). Six d'entre eux sont démolis en 1932 et remplacé par cinq conversions supplémentaires. Quatre autres sont convertis en auxiliaires ou moyens de transports à ce moment-là. Quatre classe Wickes convertis et quatre Clemson également convertis en mouilleur servent dans la Seconde Guerre mondiale[23]. Pendant les années 1930, 23 autres sont mis au rebut, vendu ou coulé comme cibles. Cela est principalement dû à un remplacement général de 61 destroyers équipé de chaudière Yarrow en 1930-31, alors que ces chaudières rencontrent un problème d’usure rapide. Les flush-deckers en réserve sont commissionnés en remplacement[24].
À partir de 1940, la plupart des navires restants sont également convertis. Seize sont convertis en Destroyer de transport haute vitesse avec la désignation APD. Huit sont convertis en destroyer dragueur de mines (DMS). La plupart des navires restant en service pendant la Seconde Guerre mondiale sont réarmés avec un double canon de 3 pouces/50 calibres pour une meilleure protection anti-aérienne. Les destroyers convertis en transport d'hydravions reçoivent l’appellation AVD et deux de ces canons ; les transports APD, les mouilleurs de mines DM et les dragueurs de mines DMS reçoivent trois canons, et ceux conservant la classification de destroyer en reçoivent six[23]. Le faible angle des canons de 4 pouces Mark 9 poussent à retirer ces derniers et les transférer à des navires marchands équipés pour la protection anti-sous-marine[25]. En outre, la moitié des tubes lance-torpilles est enlevée aux navires de la classe Wickes qui conservent la fonction de destroyer classique ; toutes les torpilles sont en revanche retirées des navires convertis. On retire aussi à la quasi-totalité des navires, la moitié des chaudières pour augmenter les capacités de carburant et le rayon d'action, en contrepartie, la vitesse diminue à 25 nœuds (46 km/h)[3],[23].
Parmi les navires de classe Wickes, l'USS Ward (DD-139) a une carrière mouvementée. Il est construit en un temps record : sa quille est posée le 15 mai 1918, lancé seulement 17 jours plus tard, le 1er juin 1918, et il est commissionné seulement 54 jours après, le 24 juillet 1918. Il est crédité des premiers tirs américains lors de l'attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, coulant un sous-marin de poche japonais avec ses canons avant le début de l'attaque aérienne. Le naufrage est demeuré incertain jusqu'à la découverte de l'épave du sous-marin en 2002. Transformé en transport à grande vitesse APD- 16, il est gravement endommagé par une attaque kamikaze le 7 décembre 1944, et après l'abandon du navire, ce dernier est coulé par des tirs du destroyer USS O'Brien (DD-725), commandé à ce moment par son ancien commandant lors de l'attaque de Pearl Harbor[26].
En tout, treize navires de classe Wickes sont perdus pendant la Seconde Guerre mondiale en service dans la marine des États-Unis. Les autres sont mis au rebut entre 1945 et 1947.
Dans les autres marines
Vingt-trois destroyers de classe Wickes sont transférés à la Royal Navy, ainsi que quatre à la Marine royale du Canada, en 1940, en vertu du Destroyers for Bases Agreement. La plupart de ces navires sont remis en état à l'image de que la marine américaine a fait et utilisés comme escorte de convoi, mais certains sont finalement très peu utilisés et il n'est pas considéré intéressant de les réparer. L'USS Buchanan (DD-131), renommé HMS Campbeltown (I42), est déguisé en navire allemand et utilisé comme navire bélier lors de l'opération Chariot[n. 3]. Un autre destroyer a été coulé ; les autres sont mis au rebut entre 1944 et 1947. En 1944, sept navires sont transférés par la Grande-Bretagne à la marine soviétique, à la place des navires italiens revendiqués par l'URSS après la capitulation de l'Italie. Ces navires ont tous survécu à la guerre et ont été démolis entre 1949 et 1952[4].
↑Certains de ces navires sont également référencés comme appartenant aux sous classes Little (52 navires), Lamberton (11 navires), et Tattnall (10 navires) pour signifier le chantier qui les a construits, et noter les légères différences de conception avec les navires conçus par Bath Iron Works. Et certaines de ces unités non conçues par Bath Iron Works ont effectivement été mises en service avant le navire tête de classe Wickes, l’USS Wickes (DD-75)[3],[4].
↑Les États-Unis n'ont à cette date produit que 74 destroyers toutes classes confondues depuis leur premier destroyer USS Bainbridge (DD-1) lancé en 1901.
(en) Donald I. Thomas, « Recommissioning Destroyers, 1939 Style », United States Naval Institute Proceedings, .
Ouvrages
(en) K. Jack Bauer et Stephen S. Roberts, Register of Ships of the U.S. Navy, 1775-1990: Major Combatants, Westport, Connecticut, Greenwood Press, (ISBN0-313-26202-0).
(en) John Campbell, Naval Weapons of World War Two, Naval Institute Press, (ISBN0-87021-459-4).
(en) Norman Friedman, US Destroyers : An Illustrated Design History (Revised Edition), Annapolis, Naval Institute Press, , 552 p. (ISBN1-55750-442-3).
(en) Robert Gardiner et Randal Gray, Conway's All the World's Fighting Ships (1906-1921), [détail de l’édition].
(en) Robert Gardiner et Roger Chesneau, Conway's All the World's Fighting Ships (1922-1946), [détail de l’édition].
(en) Samuel Eliot Morison, History of United States Naval Operations in World War II, Supplement and General Index, Little, Brown and Company, .
(en) Paul H. Silverstone, U.S. Warships of World War I, Ian Allan, .
(en) Paul H. Silverstone, U.S. Warships of World War II, Doubleday and Company, .