Le Saint Prépuce (en latin Sanctum Praeputium) — également appelé « Sainte Vertu »[1] (Sancta Virtus) ou « Saint Vœu »[2] — est le nom donné à différentes reliques relatives au prépuce issu de la circoncision de Jésus de Nazareth. À l'instar de plusieurs reliques corporelles du Christ — comme son cordon ombilical ou ses dents de lait — sa détention a été revendiquée par plusieurs lieux de culte chrétiens, particulièrement dans l'Occidentmédiéval.
Contexte théologique et historique
D'une manière générale, le culte des reliques relatives à la vie de Jésus débute dans le premier quart du IVe siècle avec l'excavation du tombeau supposé de Jésus sur l'ordre de l'empereur Constantin, avec laquelle coïncide peut-être l'invention de la « vraie Croix », attribuée par la tradition à sa mère Hélène[3].
Dans le judaïsme, de manière quasi ininterrompue depuis l'Antiquité et par fidélité à un commandement biblique[4], l'ablation du prépuce est pratiquée sur le garçon nouveau-né huit jours après sa naissance dans une cérémonie au cours de laquelle il reçoit son nom hébreu[5]. En tant que Juif, Jésus a ainsi vraisemblablement été circoncis, ainsi que le laissent entendre plusieurs passages du Nouveau Testament[6]. Mais l'idée que le prépuce de Jésus ait été conservé, et que, de plus, il aurait été transmis à travers les âges n'a aucun caractère de vraisemblance historique puisque, selon la coutume, le prépuce est enterré après l'opération[7]. Cela n'a pas échappé même à la piété naïve du Moyen Âge, et explique le succès très variable des différentes tentatives faites ici et là pour faire croire en sa possession.
Ainsi l'abbaye de Conques n'a réussi à devenir un centre de pèlerinage qu'après avoir récupéré à Agen les reliques de la jeune martyre Sainte Foy : son prétendu Saint Prépuce n'intéressait personne. Cependant, dans le doute sur l'authenticité de ce genre de reliques, il était hors de question de les détruire, et cela explique leur multiplicité.
À l'abbaye de Coulombs, une croyance locale prêtait au Saint Prépuce le pouvoir d'apporter la fécondité aux femmes stériles[8] et un accouchement sans difficulté aux femmes enceintes[9]. Alors que Catherine de Valois était enceinte en 1421, son mari, le roi Henri V d'Angleterre, à qui une bulle du pape Martin V accordait le privilège de pouvoir déplacer les reliques[10], fit emprunter et apporter à son épouse, en Angleterre, le Saint Prépuce de l'abbaye de Coulombs[11]. La relique fut ensuite renvoyée en France et exposée à la Sainte-Chapelle, à Paris[12]. Les moines bénédictins de Coulombs durent s'adresser en 1427 à Jean de Lancastre 1erduc de Bedford, régent du jeune Henri VI, pour la faire transférer à l'abbaye Saint-Magloire de Paris[13], puis en 1441 au roi de France Charles VII pour en reprendre possession, sans toutefois pouvoir lui faire quitter Paris. C'est Jean Lamirault, abbé de Coulombs de 1442 à 1446[14], qui fit revenir la relique à Coulombs[15].
Face à la revendication de plusieurs églises de posséder la vraie relique, le Vatican décréta au XIVe siècle que le Saint Prépuce authentique était conservé dans la basilique Saint-Jean-de-Latran à Rome. Au XXe siècle, le rationalisme historique et le manque de confiance en cette relique douteuse et superstitieuse conduisirent en 1900 le pape Léon XIII à interdire, sous peine d’excommunication, de parler du Saint Prépuce[16].
Lieux de conservation
Moyen Âge
Au Moyen Âge, il y eut jusqu'à quatorze « Saints Prépuces » conservés dans diverses villes européennes[17] et généralement mêlés à des collections de reliques du même genre : dents de laits de l'Enfant Jésus, Saint ombilic.
La première trace d'une relique du Saint Prépuce est celle qui aurait été donnée au pape Léon III par Charlemagne lors de son couronnement, le . On raconte aussi qu'un ange le lui avait apporté pendant qu'il priait devant le Saint-Sépulcre (alors qu'il n'a jamais quitté l'Europe). Une autre tradition en fait un cadeau de mariage offert par l'Impératrice de Byzance, Irène l'Athénienne. Le pape l'aurait placé dans le Sancta sanctorum de la Basilique de Latran à Rome avec d'autres reliques. Il s'agit dans tous les cas de légendes tardives dont aucune ne s'appuie sur un document d'époque carolingienne.
Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique, y ajoute Compiègne[20], mais il se trompe, car la relique qui était conservée au monastère Saint-Corneille de Compiègne n'était que le couteau qui aurait servi à opérer la circoncision de Jésus[21]. On avait de même à l'église romaine de San Jacopo in Borgo la pierre sur laquelle l'Enfant avait été circoncis [21].
Une autre liste allemande y ajoute l'Abbaye d'Andechs en Bavière (et le QuidClermont, mais apparemment par confusion avec un morceau du Saint ombilic qui y était conservé).
Situation actuelle
Le village italien de Calcata mérite une mention spéciale. En 1557, on y aurait découvert le Saint Prépuce, volé trente ans auparavant par un lansquenet allemand lors du sac de Rome de 1527[22]. Jusqu'en 1983, une procession où l'on vénérait ce Saint Prépuce parcourait les rues du village le 1er janvier, jour où selon une tradition, qui n'est pas antérieure au VIe siècle, Jésus aurait été circoncis. Mais des voleurs s'emparèrent du reliquaire en ; les processions à Calcata exposent depuis un reliquaire vide. Ce vol a fait naître différentes thèses complotistes : le vol remonterait aux Nazis ; le Saint Prépuce aurait été vendu par le prêtre de l'église de Calcata ; la relique aurait été soustraite par le Vatican pour éviter qu'elle ne fasse l'objet d'une datation par le carbone 14[23].
Il ne semble plus y avoir d'autres Saints Prépuces en Italie[24] ; celui d'Anvers a disparu en 1566 ; mais il reste en France ceux de Conques et de Vebret.
Échos suscités par le Saint Prépuce
Périodiquement le thème de cette relique a été agité pour tourner en dérision certains aspects du catholicisme.
Jean Calvin dans son Traité des reliques (1543) se demande comment le prépuce de Jésus a pu être conservé, et surtout comment il peut se trouver à la fois à Charroux et à Rome[25].
Voltaire, dans son Traité sur la tolérance (1763), s'est moqué de la vénération du Saint Prépuce, la considérant toutefois comme une superstition moins dangereuse que de détester et de persécuter son prochain. Dans son Dictionnaire philosophique (1764), à l'article « Prépuce », il remarque plus simplement « qu'il y a peut-être un peu de superstition dans cette piété mal entendue ».
Les libres-penseurs G. W. Foote et J. M. Wheeler, dans leur ouvrage Crimes of Christianity ("Les crimes du christianisme"), en 1887, rapportent une fable extravagante, selon laquelle un auteur catholique, Leone Allacci (1586-1669), aurait même écrit un traité Sur le Prépuce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, destiné à démontrer que, lors de son Ascension, Jésus aurait vu son prépuce, monté au ciel avec lui, donner naissance aux anneaux de la planète Saturne, découverts en 1610[28] ; il n'existe aucun texte connu sur ce thème dans les œuvres de Leone Allacci[29].
Roger Peyrefitte, dans son roman Les Clés de saint Pierre (1955), consacre un chapitre savoureux (le chapitre V de la quatrième partie) au procès-verbal d'une supposée séance de la congrégation du Saint-Office relative à l'opportunité de "remettre en lumière la dévotion du Saint Prépuce".
Dans le roman La maledizione di Cristo de l'auteur italien Alessandro Scannella (en 2006), le chercheur en génétique Dionisio De Santis, en possession du Saint Prépuce, décide de cloner Jésus-Christ dans un laboratoire caché dans les caves du Vatican[30].
En 2007, ce type de relique a fait l'objet de divers canulars obscènes[31], répercutés en particulier dans un article du The Guardian reproduit dans Courrier international[32].
Iconographie de la circoncision de Jésus
L'iconographie de la circoncision de Jésus se confond souvent avec celle de sa présentation au Temple[réf. nécessaire].
↑Edina Bozóky, La politique des reliques de Constantin à Saint Louis : Protection collective et légitimation du pouvoir, Beauchesne, , p. 197
↑Philippe Boutry, Pierre Antoine Fabre et Dominique Julia, Reliques modernes : Cultes et usages chrétiens des corps saints des Réformes aux révolutions, vol. 1, Éditions de l'Ehess, , p. 169
↑Selon Jacques Collin de Plancy, Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, t. II, p. 47 (qui s'appuie sur Jean-Baptiste Thiers, Traité des superstitions, t. I, liv. II, chap. Ier) : « On le montrait aux femmes grosses, enchâssé dans un reliquaire d'argent, afin de les faire accoucher sans travail ; et ce prépuce était d'un bon revenu. »
↑Il y est conservé dans un reliquaire de l'église paroissiale avec des reliques du Saint-Sépulcre, des pierres de la lapidation de saint Étienne et des reliques de saint Louis, selon une notice de Marceline Brunet pour l'Inventaire général, 1993 (Référence: IM15000146, dossier consultable au Service régional de l'inventaire Auvergne)
↑Article « Prépuce » du Dictionnaire philosophique : « Les chrétiens ont, depuis longtemps, la circoncision en horreur ; cependant les catholiques se vantent de posséder le prépuce de notre Sauveur ; il est à Rome dans l’église de Saint-Jean-de-Latran, la première qu’on ait bâtie dans cette capitale ; il est aussi dans la cathédrale à Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne ; dans la cathédrale d'Anvers ; dans l’abbaye Saint-Corneille à Compiègne ; à Notre-Dame-de-la-Colombe, dans le diocèse de Chartres ; dans la cathédrale du Puy-en-Velay ; et dans plusieurs autres lieux. »
↑ a et bJacques Collin de Plancy, Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, vol. 2, Guien et Cie, , p. 49
↑Collin de Plancy, Dictionnaire critique, t. II, p. 47-49
↑(en) David Farley, An Irreverent Curiosity. In Search of the Church's Strangest Relic in Italy's OddestTown, Penguin, , p. 274-277
↑Dans un documentaire pour la chaîne de télévision Channel 4 diffusé en 1997, le journaliste britannique Miles Kington parcourut l'Italie à sa recherche, mais en vain.
↑Cité par Collin de Plancy, Dictionnaire critique, II, p. 46
↑« Au commencement du dernier siècle, pendant la Régence, l'évêque Noailles, considérant que ce saint prépuce était l'objet d'un culte souvent scandaleux, surtout de la part des femmes, et se doutant bien que c'était une fausse relique, voulut la faire examiner. Elle était dans un morceau de velours rouge ; un chirurgien, après avoir ouvert le velours, n'y trouva qu'un peu de poudre ; il la mit sur sa langue, et déclara que le prétendu prépuce n'était qu'une poussière de sable. On appela depuis ce chirurgien croque-prépuce ; mais il n'y eut plus de prépuce à Châlons-sur-Marne. » (Dictionnaire critique, p. 47)
↑Tome III, p. 230. Il explique qu'il a été induit en erreur par le fait que dans le pays on appelait familièrement cet ombilic le saint prépuce.
↑(en) Alessandro Scannella, La maledizione di Cristo, Gruppo Albatros Il Filo, , 278 p.
↑Ainsi la mystiqueCatherine de Sienne l'aurait reçu comme anneau nuptial ; une autre, sainte Brigitte, l'aurait porté à ses lèvres et par là éprouvé des sensations orgasmiques ; un auteur catholique l'aurait identifié aux anneaux de Saturne récemment découverts, etc.
Jacques Albin Simon Collin de Plancy, Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, 1821, p. 46-50
Philippe Cordez, Trésor, mémoire, merveilles. Les objets des églises au Moyen Âge, Paris 2016, p. 105-113.
Alphons Victor Müller, Die hochheilige Vorhaut Christi im Kult und in der Theologie der Papstkirche, Berlin, 1907
Robert P. Palazzo, The Veneration of the sacred foreskin(s) of baby Jesus : a documented analysis, Multicultural Europe and cultural exchange in the Middle Ages and Renaissance, éd. James P. Helfers, Turnhout (Belgium), Brepols, 2005
Roger Peyrefitte, Les Clés de saint Pierre, roman, Paris, Flammarion, 1955, p. 307-328 (réunion de la congrégation du saint office au sujet du culte à rendre au Saint Prépuce) et p. 359-372 (visite à Calcata)
Filmographie
Enquête sur le Saint Prépuce, documentaire 2014, États-Unis/Italie, réalisé par Edward Dallal & Bram Megellers et diffusé sur Arte le (enquête menée par le journaliste américain David Farley).
Vue de dos : armes de l'abbé Miles d'Illiers : d'or à six annelets de gueules posés 3, 2, et 1 et armes de l'abbaye : d'azur à trois merlettes de sable posées 2 et 1
Crucifix en ivoire (vestige du reliquaire primitif : « Une bordure en filigranes ornée de pierres cabochons lui sert de bordure. Si nous comprenons bien la description sommaire qu'en donne un passage du XVe siècle, des lames de cristal de roche serties dans cette bordure durent garnir le revers de la croix, ou du moins la cavité dans laquelle le saint prépuce était enfermé sous la croix. Cette croix, peut-être mobile sur sa garniture, servait ainsi de reliquaire. L'usure qui a effacé les traits du Christ est l'indice de nombreux frottements expliqués par les pérégrinations que ce reliquaire a faites et par l'usage auquel il était destiné. » Alfred Darcel, Histoire de l'abbaye de Coulombs de M. Lucien Merlet, Gazette des Arts, tome XVIII, janvier-, p. 481)