Alida Maria Laura Altenburger von Markenstein und Frauenberg, connue sous le nom d'Alida Valli, est une actriceitalienne née le à Pula, en Istrie[1], et morte le à Rome.
Alìda est né à Pula d'une mère istrienne, la pianiste Silvia Obrekar[2], et d'un père trentin, professeur de philosophie et critique musical d'extractionaristocratique, le baron Gino Altenburger von Marckenstein und Frauenberg, qui appartenait à une famille noble d'origine tyrolienne[3],[4]. Son grand-père paternel était le baron Luigi Altenburger (ou Altempurger), un Austro-Italien de Trente, descendant des comtes d'Arco ; sa grand-mère paternelle était Elisa Tomasi de Trente, une cousine du sénateur romain Ettore Tolomei. La mère de Valli, Silvia Oberecker Della Martina, née à Pula, était une femme au foyer « culturellement sophistiquée », d'origine mi-slovène mi-italienne[5],[6]. La mère de Valli était la fille de Felix Oberecker (ou Obrekar), originaire de Laibach, en Autriche (aujourd'hui Ljubljana, en Slovénie), et de Virginia Della Martina, originaire de Pula, en Istrie (qui faisait alors partie de l'Autriche). Le grand-oncle maternel de Valli, Rodolfo, était un ami proche de Gabriele D'Annunzio.
Sa famille a quitté l'Istrie avant le début des persécutions anti-italiennes. À l'âge de 8 ans, elle s'installe avec sa famille sur le lac de Côme et, malgré plusieurs voyages et déménagements, ne reviendra jamais dans sa ville natale. Les nouvelles qu'elle reçoit des massacres des foibe en Istrie l'ont durement éprouvée : « Je ne me sens pas privilégiée d'avoir été épargnée par ce qui est arrivé aux Istriens à la fin de la guerre : déplacements forcés, confiscation des biens et souvent la mort. Bien qu'éloignée, j'ai souffert avec eux »[7]. Dans son journal, elle exprime un grand regret pour Pula : « J'ai choisi de ne jamais retourner à Pula », trop de chagrin. La ville de sa naissance, Pula, est devenue yougoslave en 1945 puis croate en 1991 mais Alida Valli s'est toujours considérée italienne. En 2004, la Croatie a décidé de l'honorer en tant que grande artiste croate, mais elle a refusé le prix en déclarant : « Sono nata italiana e voglio morire italiana » (litt. « Je suis née italienne et je veux mourir italienne »)[8].
En 1936, elle adopte le nom de famille Valli, choisi, semble-t-il, après avoir consulté au hasard un annuaire téléphonique[9]. Le nom d'origine était en effet difficile à prononcer pour les italiens et elle avait besoin d'un nom plus charmant pour le public.
Au cours de ses premières années à Rome, elle rencontre l'aviateur Carlo Cugnasca(pt) (né en Suisse le ), qu'elle avait connu quelques années auparavant, et ils se fiancent[10]. Malheureusement, le lieutenant de Côme meurt dans le ciel de Tobrouk, en Libye italienne, le [11].
Peu avant la fin de la guerre, elle rencontre le musicien et compositeur Oscar De Mejo, qu'elle épouse et avec lequel elle a deux fils : Carlo, également acteur, et Lorenzo, qui a suivi les traces de son père et est devenu musicien de jazz[7],[3] ; après huit ans, ils divorcent. Au début des années 1950, elle se fiance avec Piero Piccioni, grand ami et collègue de son premier mari, mais la relation ne dure pas, notamment en raison de la pression médiatique créée par l'affaire Wilma Montesi, qui implique le musicien lui-même, fils d'un ministre de l'époque[12]. C'est sur le tournage de Senso (1954) qu'elle rencontre Giancarlo Zagni, assistant réalisateur de son état, grâce auquel elle fait ses débuts au théâtre et qui sera son compagnon pendant une quinzaine d'années[13].
Ce sont des années de travail intense, au cours desquelles arrivent également des scénarios dramatiques. Après le rôle de Manon dans Manon Lescaut de Carmine Gallone (1940), c'est au tour du rôle de Luisa dans Le Mariage de minuit de Mario Soldati (1941), où elle fera montre d'une qualité de jeu dramatique peu ordinaire, qui lui vaut à la Mostra de Venise un prix spécial du comte Giuseppe Volpi en tant que meilleure actrice italienne de l'année[9]. C'est grâce à ce film, parfois désigné comme appartenant au genre calligraphiste[16],[17], que l'actrice change de registre, elle déclare en effet dans une interview qu'elle a cessé de « jouer » pour commencer à « interpréter ». La même année, elle perd son fiancé Carlo Cugnasca[15], tombé à la guerre.
Nous, les vivants
En 1942, elle figure dans l'adaptation du roman américain d'Ayn RandNous, les vivants par Goffredo Alessandrini, présenté à la Mostra de Venise comme une seule œuvre mais distribué en deux parties (Noi vivi et Addio Kira!) en raison de sa durée supérieure à 3 heures[18]. Ayant les qualités dignes d'être un film épique, Alessandrini et Majano décident d’écrire le scénario basé directement sur le roman sans avoir obtenu les droits de propriété car, à l’époque, l'Italie et les États-Unis étaient en guerre, une situation qui les empêchait d’obtenir les droits[19].
Le film d'Alessandrini a connu une histoire paradoxale avec la censure. Généralement considéré, malgré le démenti ultérieur du réalisateur[18], comme une œuvre de propagandeanticommuniste et donc favorable au régime à l'heure où les troupes italiennes combattent en Union soviétique, il a ensuite été contesté et interdit cinq mois après sa sortie. Selon l'historien Jean Antoine Gili, il s'agit d'un « oubli de la censure. Elle ne s'était pas rendu compte que le film dépeignait une atmosphère dictatoriale plus proche de l'Italie fasciste que de la Russie soviétique »[20].
Contrairement à d'autres collègues, à l'automne 1943, l'actrice, pour ne pas jouer dans des films de propagande fasciste, refuse de se rendre dans les studios de cinéma de Cinevillaggio à Venise, ville située à l'époque dans la République de Salò, et reste donc à Rome, où elle se cache avec l'aide de ses amies Leonor Fini et Luciana d'Avack[21],[22].
Passage éclair à Hollywood
Après son mariage et la naissance de son premier enfant en 1947, son interprétation d'Eugénie Grandet dans le film éponyme de Mario Soldati lui vaut le Ruban d'argent de la meilleure actrice[23]. Le prix lui est remis à Los Angeles, où elle a été appelée par le producteur David O. Selznick, qui entend faire d'elle l'« Ingrid Bergman italienne » et lui offre un contrat de sept ans[24]. Le public américain la connaît simplement sous le nom de « Valli », écrit en cursive, une habitude prise au générique de ses films américains « pour la rendre encore plus exotique »[25]. L'actrice va se plaindre de cet état de fait : « Je me sens ridicule quand je me promène avec un seul nom », dit-elle. « Les gens me confondent avec Rudy Vallée »[25].
L'actrice ne supporte pas les règles que lui impose le producteur, réputé pour vouloir avoir un contrôle total sur ses acteurs, et elle obtient la résiliation de son contrat, même si c'est au prix d'une lourde amende de 150 000 dollars américains[8],[3]. Peu satisfaite du système hollywoodien et séparée de son mari Oscar de Mejo, un an après avoir donné naissance à un second fils à Los Angeles, Lorenzo dit « Larry », Alida Valli retourne seule en Italie, sa mère patrie, avec ses deux fils, Carlo De Mejo, Lorenzo De Mejo, en 1953, et elle s'installe définitivement à Rome.
Le critique britannique David Shipman a écrit dans son ouvrage sur les vedettes de cinéma que sur la base de ses films les plus connus avant 1950, elle pourrait sembler être « l'une des importations européennes les moins réussies d'Hollywood », mais qu'un spectateur de « deux ou trois des films qu'elle a tournés depuis lors... » la considérera probablement comme l'une des six meilleures actrices au monde[26].
Visconti, Antonioni
A partir de 1951 elle va travailler avec des réalisateurs italiens ou français. Les réalisateurs italiens seront Mario Soldati à nouveau, Gianni Franciolini et, surtout, les deux « grands » que sont Luchino Visconti, qui lui confie le rôle principal de Senso, en 1954, et Michelangelo Antonioni qui la fait jouer dans Le Cri, en 1957. Dans l'intervalle entre ces deux films (1954-1957) éclate le scandale Montesi. La carrière cinématographique de Valli a souffert du scandale entourant la mort de Wilma Montesi, dont le corps a été retrouvé sur une plage publique près d'Ostie. Une longue enquête s'ensuivit, impliquant des allégations d'orgies sexuelles et de drogue dans la société romaine. Parmi les accusés — qui ont tous été acquittés, laissant l'affaire non résolue — se trouvait l'amant de Valli, le musicien de jazz Piero Piccioni (fils du ministre italien des Affaires étrangèresAttilio Piccioni)[27].
Son rôle dans Senso sera particulièrement remarqué. A l'origine, le rôle de la comtesse Livia Serpieri, impliquée dans une liaison torride avec un officier autrichien en plein Risorgimento, devait être attribué à Ingrid Bergman[24]. Même si le public bouda le film à l'époque[28], cette histoire flamboyante de deux amants maudits qui dépeint l'agonie de deux classes et fait se conjuguer marxisme et aristocratisme, néo-réalisme et lyrisme décadent, a été largement réévalué depuis sa sortie comme une œuvre « indispensable »[29],[30].
Le Cri est l'occasion pour Antonioni de poser un regard inédit sur le monde de la classe ouvrière en mettant en scène le personnage d'Aldo (Steve Cochran), un journalier du nord de l'Italie que quitte Irma (Alida Valli) et qui se mettre à voyager à travers l'Italie avec sa fille. Le film atteint une « grandeur tragique. L'œuvre entière tend au hurlement final, s'y rassemble et s'y déchire, instantanément saisie dans sa plénitude et son achèvement aigu, presque abstrait, comme le sommet de la pyramide »[31], ici symbolisé par le cri d'Irma (Alida Valli) assistant à la chute mortelle d'Aldo. « Le visage de la femme, serré dans ses mains, nous rappelle le célèbre tableau de Munch qui donne aussi son titre au film. »[32].
Mais son rôle le plus notable en France est probablement celui de Louise dans Les Yeux sans visage, l'assistante d'un chirurgien (Pierre Brasseur) qui enlève des jeunes filles pour les défigurer et ainsi greffer leurs peaux sur le visage de sa propre fille (Édith Scob), elle-même mutilée dans un accident. Jean-Luc Godard avait décrit le réalisateur Georges Franju en ces termes : « Franju cherche la folie derrière le réalisme parce que c'est pour lui le seul moyen de redécouvrir le vrai réalisme derrière celui de cette folie »[34]. Les trois protagonistes jouent d'un jeu atone et d'une tristesse ou d'une violence intériorisées. Le film compte parmi les rares incursions du cinéma français dans le cinéma d'épouvante fantastique, héritier du réalisme poétique d’avant-guerre mais aussi du surréalisme[35].
Avec Giuseppe Bertolucci, elle participe en 1977 au premier film de Roberto Benigni, Berlinguer ti voglio bene, dans lequel elle incarne la mère du personnage principal et utilise souvent des mots vulgaires et grossiers ; Dario Argento lui confie en revanche deux rôles inquiétants dans Suspiria (1977) et Inferno (1980) ; dans le premier, elle incarne Mlle Tanner, une des professeures qui enseigne la danse classique à l'héroïne Suzy Banner (Jessica Harper) dans une école ensorcelée à Fribourg-en-Brisgau ; dans le second, elle interprète Carol, la concierge d'une maison hantée à New York entourée de ses chats[39].
Télévision et théâtre
Toujours en 1980, elle joue dans le téléfilm L'eredità della priora d'Anton Giulio Majano. En 1983, elle joue dans le feuilleton Piccolo mondo antico, réalisé par Salvatore Nocita, cette fois dans le rôle de la Marquise Maironi.
Au milieu des années 1950, elle commence une carrière théâtrale dans (entre autres) des œuvres d'Ibsen, Tchekhov, Shakespeare, O'Neill, Pirandello, D'Annunzio, Sartre, Williams, Miller et Marlowe, en Italie, en France et aux États-Unis. Elle travaille pendant deux ans en Amérique du Sud et au Mexique où elle tourne plusieurs séries de téléfilms (telenovelas), et elle participe en 1963 au fameux Manolo Fabregas Show[40]. À la télévision italienne, elle conduit son propre spectacle Music Rama, avec des chansons de films.
Dernières années et mort
Son dernier film, Semana Santa de Pepe Danquart, fut tourné en 2001 à Séville, en Espagne. Elle a connu des problèmes financiers au cours des dernières années de sa vie, à tel point qu'elle s'est vu accorder une rente viagère en vertu de la loi Bacchelli en 2003[8],[41].
Elle a tourné plus de 100 films pour le cinéma[42],[43], participé à plus de 30 productions de télévision (émissions télévisées et téléfilms, sans compter les feuilletons), et à plus de 30 productions de théâtre comptant plusieurs centaines de représentations.
Elle est décédée à son domicile de Rome le , à l'âge de 84 ans ; le 24 avril, la chambre funéraire a été installée dans la protomothèque du Capitole ; après la commémoration laïque, les funérailles religieuses ont été célébrées l'après-midi du même jour dans la basilique Santa Maria in Aracoeli, en présence de nombreuses personnes ordinaires et de nombreux visages du monde du cinéma et de la politique ; après six mois d'attente à la recherche d'une sépulture, l'actrice a été enterrée dans une niche du cimetière communal monumental de Campo Verano à Rome[44],[45],[46].
Postérité et hommages
En 2008, une salle de cinéma[47] de sa ville natale, Pula, a été baptisée en son honneur.
En 2008, son neveu Pierpaolo De Mejo lui consacre un court hommage, Come diventai Alida Valli[48].
En 2010 et 2011, le Festival international du film de Bari a décerné un prix portant le nom d'Alida Valli pour la révélation de la jeune actrice (2009) et pour la meilleure actrice dans un second rôle parmi les films du festival.
En 2022, Rai Storia a diffusé un programme intitulé Il segno delle donne et produit par Anele, consacré à sept femmes italiennes qui ont marqué le XXe siècle ; le premier épisode est consacré à Alida Valli[52].
↑ a et b(it) « Alida Valli », sur enciclopediadelledonne.it
↑(it) Gianpiero Brunetta, Storia del cinema italiano (vol. II - il cinema di regime 1929- 1945), Rome, Editori Riuniti, (ISBN88-359-3730-2)
↑(it) Guido Aristarco, Il cinema fascista. Il prima e il dopo, Bari, Dedalo, (ISBN88-220-5032-0)
↑ a et b(it) Francesco Savio, Cinecittà anni Trenta. Parlano 116 protagonisti del secondo cinema italiano, Rome, Bulzoni, , p. 107
↑(it) Ernesto G. Laura et Alfredo Baldi, Storia del Cinema Italiano, vol. VI (1940-1944), Venise, Marseille et Rome, Edizioni di Bianco e nero, (ISBN978-88-317-0716-9), p. 67
↑(it) Jean Antoine Gili, Stato fascista e cinematografia: repressione e promozione, Rome, Bulzoni, , p. 68