Bien que lui étant antérieure, cette chanson est néanmoins fortement associée à la Commune de Paris de , l'auteur étant lui-même un communard ayant combattu pendant la Semaine sanglante.
Contexte
Jean Baptiste Clément écrit cette chanson en , lors d'un voyage vers la Belgique. Sur la route des Flandres, il fait une halte à Conchy-Saint-Nicaise, dans la maison située près de l'estaminet du lieu-dit de la poste. La maison entourée de cerisiers anciens inspire alors l'auteur.
Des années plus tard, en 1882[2], Jean Baptiste Clément dédie sa chanson à une ambulancière rencontrée lors de la Semaine sanglante, alors qu'il combattait en compagnie d'une vingtaine d'hommes dont Eugène Varlin, Charles Ferdinand Gambon et Théophile Ferré[3] : « À la vaillante citoyenne Louise, l'ambulancière de la rue de la Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871. » À la fin des paroles, il explicite cette dédicace :
« Puisque cette chanson a couru les rues, j'ai tenu à la dédier, à titre de souvenir et de sympathie, à une vaillante fille qui, elle aussi, a couru les rues à une époque où il fallait un grand dévouement et un fier courage ! Le fait suivant est de ceux qu'on n'oublie jamais :
Le dimanche, 28 mai 1871 […].
Entre onze heures et midi, nous vîmes venir à nous une jeune fille de vingt à vingt-deux ans qui tenait un panier à la main.
[…]
Malgré notre refus motivé de la garder avec nous, elle insista et ne voulut pas nous quitter. Du reste, cinq minutes plus tard, elle nous était utile. Deux de nos camarades tombaient, frappés, l'un, d'une balle dans l'épaule, l'autre au milieu du front… »
« Nous sûmes seulement qu'elle s'appelait Louise et qu'elle était ouvrière. Naturellement, elle devait être avec les révoltés et les las-de-vivre. Qu'est-elle devenue ? A-t-elle été, avec tant d'autres, fusillée par les Versaillais ? N'était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume[4] ? »
Dans La Commune Histoire et souvenirs (1898), Louise Michel rappelle cette dédicace en indiquant indirectement qu’elle n’est pas la Louise du Temps des cerises :
« Au moment où vont partir leurs derniers coups, une jeune fille venant de la barricade de la rue Saint-Maur arrive, leur offrant ses services : ils voulaient l'éloigner de cet endroit de mort, elle resta malgré eux. Quelques instants après, la barricade jetant en une formidable explosion tout ce qui lui restait de mitraille mourut dans cette décharge énorme, que nous entendîmes de Satory, ceux qui étaient prisonniers ; à l'ambulancière de la dernière barricade et de la dernière heure, J.-B. Clément dédia longtemps après la chanson des cerises. Personne ne la revit. […] La Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de héros inconnus[5]. »
Analyse
Tombeau de Jean Baptiste Clément.
La chanson n'a pas été créée durant la Commune[6], mais une raison stylistique explique cette assimilation du Temps des cerises au souvenir de la Commune de Paris : son texte suffisamment imprécis qui parle d'une « plaie ouverte », d'un « souvenir que je garde au cœur », de « cerises d'amour […] tombant […] en gouttes de sang ». Ces mots peuvent aussi bien évoquer une révolution qui a échoué qu'un amour perdu – évoqué, semble-t-il, à travers le souvenir d'une défloration. On est tenté de voir là une métaphore poétique évoquant de manière indirecte une révolution : dans cette interprétation, les cerises représenteraient les impacts de balles ; balles auxquelles il serait fait allusion à travers l'image des « belles » qu'il vaut mieux éviter… La coïncidence chronologique fait aussi que la Semaine sanglante fin se déroule justement durant la saison (le temps) des cerises. Mais le simple examen de la date de composition (1866) montre qu'il s'agit là d'une extrapolation postérieure. Il s'agit, en fait, d'une chanson évoquant simplement le printemps et l'amour (particulièrement un chagrin d'amour, évoqué dans la dernière strophe). Les cerises renvoient aussi au sucre et à l'été, et donc à un contexte joyeux voire festif. Ainsi la chanson véhicule-t-elle à la fois une certaine nostalgie et une certaine idée de gaîté[6].
Interprètes
Le Temps des cerises est l’une des chansons les plus enregistrées en France, sinon la chanson la plus enregistrée, et ceci dès les débuts, vers 1895, de l’industrie phonographique. Martin Pénet, dans un recensement incomplet, cite plus de 90 interprétations différentes gravées sur cylindres et sur disques entre 1898 et 1997[7]. Entre autres, elle figure sous le n° 957 dans le catalogue de 1899 des cylindres Lioret[8] et interprété par Maréchal dans le catalogue 1898 des cylindres Pathé[9].
Parmi les très nombreux interprètes du Temps des cerises :
Marc Robine, album Du temps des chevaux au temps des cerises.
Nana Mouskouri qui ne chante pas le troisième couplet, en 1967[14] ; elle l'interprètera également en duo, avec Charles Aznavour en 1976 et avec Marcel Mouloudji en 1977
Mado Robin, album Souvenirs de la Belle Époque en 1968.
Opium du Peuple : d'abord en juin 2014 dans une version punk-rock intitulée L'intermittent des cerises en soutien aux intermittents du spectacle[20] puis sur leur album La revanche des clones en 2015[21].
Motivés ! en 2017, Y'a toujours pas d'arrangement.
Joan Baez le chante fréquemment, comme en 2018 à Paris, en 2019 à Montreux
Marguerite Santreuil l'a interprété en espéranto sous le titre Ceriz'tempo[23].
Maxime Gervais l'interprète le 27 novembre 2021 à l'occasion du 500e épisode de Des Si et des Rais[24].
HK sort en mars 2022 le clip de sa reprise du Temps des Cerises[25]
Renaud en dans son album de reprises intitulé Métèque
Léo Ferré, à la fin de sa rencontre du avec Jacques Brel et Georges Brassens, a soumis à ceux-ci l'idée de donner ensemble un concert à l'occasion d'une cause commune. Chacun y aurait chanté en alternance quelques-uns de ses succès et, à la fin du concert, les trois artistes se seraient réunis pour interpréter Le Temps des cerises en se tenant par la main. L'idée ne s'est jamais concrétisée, peut-être parce que Jacques Brel avait déjà quitté la scène en promettant de ne jamais y revenir.
Dans la culture populaire
« J'aimerai toujours le temps des cerises 1871-2021. » Commémoration de la Commune le à Paris.
Allusions
En 1936, Jacques Prévert fait une allusion parodique à cette chanson dans le poème antimilitariste Le Temps des noyaux présent dans le recueil Paroles.
Dans le film Casque d'or réalisé par Jacques Becker, sorti en 1952, on peut entendre l'air du Temps des cerises au moment du meurtre de Leca.
Bernard Grande parodie la chanson dans Le Temps des crises, sur le même air.
Luc Romann chante Du temps des cerises aux feuilles mortes.
Serge Utgé-Royo chante Sur le temps des cerises, sur le même air (album Contrechants… de ma mémoire, vol.3, 2008).
En 1969, Georges Brassens fait une allusion au Temps des cerises (« […] en toute saison ») dans ses chansons Bécassine et Le boulevard du temps qui passe.
Dans leur premier album en 1972, Michel Fugain et le Big Bazar composent et interprètent une chanson-hommage : Les Cerises de Monsieur Clément (paroles de Maurice Vidalin).
Le ministre Lionel Jospin l'interprète en direct dans une émission de variétés à la télévision française publique en 1984.
En 1985, Jean Ferrat fait allusion au Temps des cerises dans sa chanson Les Cerisiers où il explique pourquoi il est demeuré fidèle au mouvement communiste : « […] / Ah qu'il vienne au moins le temps des cerises / Avant de claquer sur mon tambourin […] ».
Dans l'album Putain de camion, sorti en 1988, Renaud l'évoque dans la chanson Rouge-Gorge : « [...] / Chante, rouge-gorge, Les temps des cerises / Savigny-sur-Orge paraîtra moins grise [...] »
Dans un album des Femmes en blanc, des pêcheurs amènent à l'hôpital une sirène blessée. Lorsqu'elle se fait opérer, elle chante Le Temps des cerises, attirant tout homme l'écoutant pour le mordre. Le docteur Minet s'y fait prendre deux fois.
Dans le film d'animation japonais Porco Rosso de 1992 par Hayao Miyazaki, studios Ghibli, le héros écoute Gina, la femme qu'il aime, interpréter cette chanson dans un cabaret pour aviateurs vétérans de la guerre de 1914-1918. Dans la version originale, elle est chantée par la chanteuse japonaise Katō Tokiko.
En 1998, dans l'album Assassins sans couteaux de Juliette Noureddine, on peut entendre un piano jouer les premières mesures de cette chanson à la fin du quatrième titre, L'Étoile rouge.
En 1999, dans Juha, film muet finlandais d'Aki Kaurismäki, la chanson est interprétée en français.
En 2008, elle est interprétée dans le film United Red Army de Kenji Wakamatsu.
Le chanteur et acteur français Luc Barney interprète en 1962 Le Bouquet de l'aimée, reprenant la mélodie du Temps des cerises avec des paroles très similaires à celles écrites par Jean Sapeur pour le chant Bouquet à l'aimée d'Henri de Rungs[28],[29]
Musique
Mélodie en tonalité de Do établie d'après plusieurs documents anciens.
Dans différents documents anciens la mélodie est en diverses tonalités avec diverses variantes mineures.
↑Jean Baptiste Clément (Source : BNF, département Littérature et art, 8-Ye-1791 - sur Gallica (voir lire en ligne)), Chansons : (5e édition), C. Marpon et E. Flammarion (Paris), , 358 p. (lire en ligne), p. 243-245).
↑Louise Michel (BNF, 8-R-14638 - sur Gallica), La Commune, Edition sociologique – n° 22 – Stock, , 427 p. (lire en ligne), IVe partie L'Hécatombe, chap. 1 (« La lutte dans Paris - L’égorgement »), p. 279 (milieu)-280.
↑Florence Aubenas, Michel Henry et Judith Perrignon, « Cérémonie d'hommage à François Mitterrand. La rose et le noir place de la Bastille », Libération, (lire en ligne, consulté le ).
↑Tous les recueils publiés par Jean Baptiste Clément, de son vivant, portent (aux vers 1 et 6) : « Quand nous en serons au temps des cerises », et jamais « Quand nous chanterons le temps des cerises ». Dans l’esprit du chansonnier, le passage de ce « Quand nous en serons » au « Quand vous en serez » de la troisième strophe servait à structurer le texte. Il est probable que « Quand nous chanterons le temps… » soit apparu d’abord au sixième vers, sous l’influence du verbe « sifflera » utilisé au vers 7, et qu’il se soit ensuite installé dans l’incipit. Tout semble indiquer que Jean Baptiste Clément n'a jamais eu connaissance de cette variante, laquelle fut sans doute inventée, avant ou après la mort du chansonnier, par l'un des nombreux interprètes oubliés du Temps des cerises.
↑Curieusement, Clément écrit ici (Chansons, 1884) : « Je ne vivrais pas sans souffrir un jour. » Une variante apparaît plus tard, également dans une édition validée par Clément (La Chanson populaire, 1900) : « Je ne vivrais point sans souffrir un jour. »
↑Clément écrivait ici : « Ne saurait jamais calmer ma douleur. » En effet, les vers 4 et 5 de cette strophe constituent un système conditionnel à l'irréel du présent, dans lequel « en m'étant offerte » signifie : si elle m'était offerte.