Trois fragments orchestraux en sont souvent joués indépendamment en concert : la Marche hongroise (ou Marche de Rákóczy), le Ballet des sylphes et le Menuet des follets.
Historique de l'œuvre
Genèse : les Huit scènes de Faust
Après un premier projet de ballet, Hector Berlioz entame en 1828 une mise en musique du premier Faust de Goethe, inspiré du pacte avec le Diable de la Bible, qu'il avait découvert, comme la plupart de ses compatriotes, grâce à la traduction que Gérard de Nerval venait de publier : les Huit scènes de Faust, op. 1 :
Ces Huit scènes de Faust sont publiées à compte d'auteur en 1829, et sont envoyées à Goethe, qui n’a visiblement pas répondu au compositeur. À partir de 1830, donc très vite après leur composition, Berlioz se détourne de ces huit fragments.
Dès 1845, soit une quinzaine d’années après l’ébauche des huit scènes primitives, le compositeur s’intéresse à nouveau à Faust et rouvre la traduction de Gérard de Nerval, grâce à laquelle il avait pris connaissance du drame de Goethe. Il demande à un certain Almire Gandonnière de rimer quelques scènes, tandis que lui-même écrit des passages entiers du livret. Le manuscrit de la partition, conservé à la Bibliothèque nationale de France, indique :
« Les paroles du récitatif de Méphistophélès dans la cave de Leipzig[2], de la chanson latine des étudiants, du récitatif qui précède la danse des Follets, du Final de la 3e partie, de toute la 4e (à l’exception de la Romance de Marguerite) et de l’Épilogue, sont de M. H. Berlioz. »
Berlioz part en voyage en Autriche, Hongrie, en Bohême et en Silésie en et ne cesse de travailler à la partition. Il intègre une partie des huit scènes primitives à sa nouvelle œuvre et met un point final à son retour à Paris, en [3].
La chute de La Damnation de Faust
La création par Hector Berlioz même à l'Opéra-Comique le est un échec, ainsi que la deuxième tentative le . Le manque de public provoque la ruine de l'auteur. Ce seront du reste les seules exécutions de La Damnation de Faust sur le sol français du vivant du compositeur[4].
La résurrection de La Damnation de Faust
Ruiné, Berlioz part en 1847 à l'étranger sur les conseils de Balzac[5]. Il dirige son œuvre à Saint-Pétersbourg le et à Moscou le . On la joue à Berlin le , ce qui lance la carrière allemande de Berlioz, et à Londres le [1].
Une version scénique, contestable et contestée (notamment par Debussy, qui ne débordait pourtant pas d'admiration pour Berlioz), sera proposée le à Monte-Carlo par Raoul Gunsbourg. Depuis lors, La Damnation de Faust a connu une double carrière, l'une au concert, l'autre à la scène[6].
À noter que le Chœur symphonique de Paris sous la direction de Xavier Ricour a tenté par deux fois une approche originale mêlant les 2 versions, le chœur amateur y chantait sur scène sans partition, les solistes évoluant au milieu des choristes (Cirque d'Hiver 1998, Châtelet 2009).
Plaines de Hongrie.
C'est le début du printemps sur les bords du Danube. Faust chante sa solitude au sein de la nature. Au loin, chantent et dansent des paysans (Ronde des paysans), puis paraissent des soldats se préparant au combat (Marche hongroise ou Marche de Rákóczy).
Cabinet de Faust.
Désespoir de Faust, qui s'apprête à avaler une boisson empoisonnée quand retentissent dans le lointain les chants de la fête de Pâques. Méphistophélès fait alors son apparition et propose à Faust de lui faire découvrir les plaisirs de l'existence.
Taverne d'Auerbach(en).
Faust accepte de le suivre et, par un extraordinaire fondu enchaîné qui anticipe de plus de cinquante ans les techniques du cinéma, tous deux se retrouvent dans la taverne d'Auerbach, à Leipzig, où des buveurs ivres chantent leur joie. L'un d'eux, Brander, entame la Chanson du rat. Elle est suivie par une fugue parodique sur le mot Amen. Méphistophélès répond par la Chanson de la puce sous les vivats des buveurs. Seul Faust n'apprécie pas ce genre de plaisirs ; c'est un échec pour le démon.
Bords de l'Elbe.
Un nouveau fondu enchaîné non moins saisissant que le précédent nous amène sur les bords de l'Elbe, où nous découvrons Faust endormi sur un lit de roses, avec à ses côtés Méphistophélès, qui demande aux sylphes de charmer sa victime puis lui fait voir en songe Marguerite.
À son réveil, Faust exprime son ardent désir de rencontrer la jeune femme. Méphistophélès l'invite alors à se joindre au cortège d'étudiants et de soldats qui va passer sous les fenêtres de celle-ci.
3e partie
Chambre de Marguerite.
Faust, caché derrière un rideau, contemple Marguerite qui chante la Ballade du roi de Thulé. Tandis qu'elle s'endort, Méphistophélès fait irruption afin de l'ensorceler. Il exhorte les feux follets à se manifester (Menuet) puis chante en leur compagnie la Sérénade.
Pendant ce temps, Faust s'est introduit dans la chambre de Marguerite. La jeune fille tombe dans ses bras, mais Méphistophélès interrompt ce court moment de bonheur et entraîne Faust, obligé de quitter les lieux du fait de l'arrivée des voisins scandalisés par la conduite de Marguerite.
4e partie
Complainte de Marguerite abandonnée. Méphistophélès rejoint Faust, abîmé dans la contemplation de la nature, et lui apprend l'incarcération de sa bien-aimée, accusée d'avoir tué sa mère (pour cacher ses amours avec Faust, elle lui administrait un somnifère qui s'est révélé mortel). Course à l'abîme, pandæmonium, triomphe de Méphistophélès.
La Descente aux enfers. Méphistophélès : « Armées de l'enfer, que sonnent vos trompettes de victoire. ». Faust tombe de cheval et s'enfonce dans l'abîme de l'enfer.
Dans le ciel.
Chœur d'anges et d'esprits célestes qui accueillent Marguerite.
Particularités
Rôle des chœurs
L'œuvre offre la particularité de comporter une partie chorale beaucoup plus développée que dans n'importe quel ouvrage lyrique contemporain, voire postérieur. Le chœur est en effet assimilé à un personnage.
Il y a :
des chœurs mixtes : Chœur des paysans, Chant de Pâques (fin), Chœur des Sylphes, Chœur des voisins, Chœur des anges ;
des chœurs pour hommes seuls : Chant de Pâques (début), Chœur des buveurs, Chœur des follets, Chœur des soldats, Chœur des étudiants, Pandæmonium ;
des chœurs pour femmes seules : Chœur des pèlerines (Course à l'abîme), Chœur des anges (début) ;
le Chœur des anges requiert également, si possible, un chœur d'enfants.
Les femmes chantent à deux voix, les hommes à quatre.
Autres particularités
Dans la deuxième partie, les interventions chorales sont régies par une savante polyrythmie ternaire et binaire : 6/8 (battu à la noire pointée) pour le chœur des soldats, 2/4 (battu à la noire) pour le chœur des étudiants, noire pointée du chœur des soldats à la même vitesse que la noire du chœur des étudiants quand les deux ensembles se superposent.
Dans le chœur des sylphes, les chanteurs sont aussi utilisés comme des instruments de musique. Les interventions du type ... de bourgeons pampres verts et de grappes vermeilles... ou ... une beauté les suit, ingénue et pensive, à sa paupière luit une larme furtive... sonnent comme des onomatopées. Ce rôle est généralement dévolu à la petite harmonie (flûte, clarinette, hautbois, basson), ce qui est d'ailleurs le cas dans la pièce instrumentale qui suit (Danse des sylphes).
Si l'œuvre est en français, le chœur des étudiants est en latin, et une grande partie du Pandæmonium dans une langue inventée à cette occasion par le compositeur (Berlioz indique sur la partition : Chœur de démons aussi nombreux que possible, chœur en langue infernale).
Guy Chauvet, Faust, Régine Crespin, Marguerite, Michel Roux, Méphistophélès, Orchestre et Chœur de la radio hollandaise, dir. Jean Fournet. 2 CD Malibran 1963 report Bellavoce 1997, Cascavelle 2019.
Renato Bondino, Faust, Guilietta Simionato, Marguerite, Ettore Bastianini, Méphistophélès, Plinio Clabassi, Brander, Chœur et Orchestre de Naples, dir. Peter Maag. 2 CD Grand Tier (26/12/1964) (en italien) report 1995.
Nicolai Gedda, Faust, Marilyn Horne, Marguerite, Roger Soyer, Méphistophélès, Dimiter Petkov, Brander, Orchestra Sinfonica & Coro di Roma della Rai, dir. Georges Prëtre, CD ARKADIA (11/01/1969) report 1992.
Nicolai Gedda, Faust, Janet Baker, Marguerite, Gabriel Bacquier, Méphistophélès, Pierre Thau, Brander, Chœur du Théâtre national de l'Opéra et Orchestre de Paris, dir. Georges Prêtre, 2 CD EMI (10/1969) report Warner 2007.
Stuart Burrows, Faust, Edith Mathis, Marguerite, Donald McIntyre, Méphistophélès, Thomas paul, Brander, Tanglewood Festival Chorus & Boston Symphony Orchestra, dir. Seiji Ozawa, 2 CD Deutsche Grammophon (15/08/1996)
Dénes Gulyas, Faust, Maria Ewing, Marguerite, Robert Lloyd, Méphistophélès, Choruses & Radio-Sinfonie-Orchester Frankfurt, dir. Eliahu Inbal, Denon, 1991 (16-18/2/1989)
Richard Leech, Faust, Françoise Pollet, Marguerite, Gilles Cachemaille, Méphistophélès, Michel Philippe, Brander, Chœur & Orchestre Symphonique de Montréal, dir. Charles Dutoit, Decca (10/1994)
Keith Olsen Faust, Jennifer Larmore, Marguerite, David Wilson-Johnson, Méphistophélès, Hub Claessens, Brander, Städtischer Musikverein zu Düsseldorf, Koninklijk Philharmonisch Ortest van Vlaanderen, dir. Günter Neuhold, 2 CD Bayer records, 1995.
Keith Lewis, Faust, Anne Sophie Von Otter, Marguerite, Bryn Terfel, Méphistophélès, David Nicklass, Philharmonia Orchestra & Choir, Eton College Boys' Choir, dir. Myung-Whun Chung, 2 CD Deutsche Grammophon (05/1995 et 06/1996) report 1998.
Vinson Cole, Faust, Charlotte Margiono, Marguerite, Thomas Quasthoff, Méphistophélès, Jaco Huijpen, Radio Filarmonisch Orkest & Groot Omroepkoor, dir. Bernard Haitink, 2 CD Multikulti B004GG492 2011.
David Kuebler, Faust, Béatrice Uria-Monzon, Marguerite, Franz Grundheber, Méphistophélès, The Israel Philharmonic Orchestra, Transylvania State Philharmonic Choir, dir. Gary Bertini. 2 CD Helicon classics 2012.
Paul Groves, Faust, Vesselina Kassarova, Marguerite, Willard White, Andreas Macco, Orfeón Donostiara de San Sebastien, Staatskapelle Berlin et Chœurs (Salzburger Festspiele), dir. Sylvain Cambreling, DVD Bel Air Media / La Sept Arte / France 3, 1999 (25/08/1999).
Giuseppe Sabbatini, Faust, Enkelejda Shkosa, Marguerite, Michele Pertusi, Méphistophélès, David Wilson-Johnson, London Symphony Orchestra & Chorus, dir. Sir Colin Davis, LSO (10/2001)
Michael Myers, Faust, Marie-Ange Todorovitch, Marguerite, Alain Vernhes, Méphistophélès, Slovac Philharmonic Choir, Orchestre National de Lille, dir. Jean-Claude Casadesus. 2 CD Naxos 2003.
Bryan Hymel, Faust, Karen Cargill, Marguerite, Christopher Purves, Méphistophélès, Gàbor Bretz, Brander, London Symphony Orchestra and Chorus, dir. Sir Simon Rattle. 2 SACD LSO 2019.
1869 : Johann Strauss II a esquissé le thème de la Marche hongroise dans la coda de Eljen a Magyar ! (Longue vie à la Hongrie).
1885 : Johann Strauss II place également le thème de la Marche hongroise dans le final de l'acte II du Baron tzigane.1887 : Chabrier, qui nourrissait la plus vive admiration pour Berlioz, à la différence de beaucoup des musiciens français de l'époque, a placé quelques notes de la Marche hongroise dans les Couplets de Fritelli au troisième acte de son opéra-comique Le Roi malgré lui.
1966 : Le chef Stanislas Lefort (Louis de Funès) fait répéter l'œuvre et la Marche hongroise à l'Opéra Garnier de Paris au début du film La Grande Vadrouille, répétition à péripéties finalement interrompue par les forces allemandes d'occupation à la recherche d'un membre de l'équipage du bombardier britannique abattu au-dessus de Paris. Le soir, lors de la représentation en public, le début de la première partie de l'œuvre dirigée par Stanislas Lefort (Louis de Funès) est à nouveau interrompue par l'attentat manqué contre le Gruppenführer. Le dénouement heureux du film se fait également au son de la Marche hongroise dirigée imaginairement par Stanislas Lefort depuis la cabine de son planeur[12]
1990 : « Cette œuvre perd, à mon avis quelque chose à être représentée sur scène. Le résultat est toujours un peu boiteux, et j'ai été déçu malgré une interprétation de premier ordre. Il est juste de dire que je n'ai pas vraiment le contact avec Berlioz... J'ai le sentiment que c'est un grand homme et un grand artiste, mais... qui ne s'est pas suffisamment trouvé dans le domaine de la musique. Une exception : Le Requiem ». Richter, Carnets, Arte éditions/Actes Sud, Bruno Monsaingeon 1998 P.375
Hector Berlioz : Mémoires…, chronologie et introduction par Pierre Citron, Garnier-Flammarion : 1969, 2 vol. ; 1re édition : impr. Vallée : 1865
Tout l'opéra, de Monteverdi à nos jours par Gustave Kobbé, édition établie et révisée par le comte de Harewood. Traduit de l'anglais par Marie-Caroline Aubert, Denis Collins et Marie-Stella Pâris. Adaptation française de Martine Kahanne. Compléments de Jean-François Labie et Alain Pâris), Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993 (ISBN2-221-07131-X)
Notes et références
↑ a et bGustave Kobbé : Tout l'opéra, de Monteverdi à nos jours, op.cit., p. 479-480 (ISBN222107131X).
↑Il s'agit de la taverne Auerbachs Keller, qui existe encore actuellement.
↑Il précise dans ses Mémoires comment s'est effectué ce travail : « […] toujours à l'improviste, chez moi, au café, au jardin des Tuileries et jusque sur une borne du boulevard du Temple. »
↑« Mon cher Balzac, Vous avez eu l'obligeance de m'offrir votre pelisse, soyez assez bon pour me l'envoyer demain rue de Provence 41, j'en aurai soin et je vous la rapporterai fidèlement dans quatre mois. Celle sur laquelle je comptais me paraît beaucoup trop courte et je crains surtout le froid aux jambes. Mille amitiés. Votre tout dévoué Hector Berlioz. » — Lettre du , dans : Balzac, Correspondance intégrale, réunie et annotée par Roger Pierrot, t. V (mai 1845-août 1850), Paris, Garnier, 1969.