La Servante écarlate
La Servante écarlate (titre original : The Handmaid's Tale) est un roman de science-fiction dystopique de Margaret Atwood[1], publié en 1985 et traduit en français en 1987. Ce roman d'anticipation est la première[2] dystopie de Margaret Atwood. Le livre a été adapté au cinéma sous le même titre par Volker Schlöndorff en 1990, en opéra (par Poul Ruders)[3], en ballet (par le Royal Winnipeg Ballet, en 2013)[4] ainsi que dans d'autres formes artistiques[4], et a fait l'objet d'une série télévisée (The Handmaid's Tale : La Servante écarlate) depuis 2017 sur Hulu. Depuis sa parution, le roman a été vendu à 8 millions d'exemplaires dans le monde rien que pour l’édition anglaise[5]. En 2019, elle lui donne une suite, Les Testaments. RésuméLe récit est mené essentiellement par la voix de Defred (Offred en version originale), qui nous permet de découvrir très progressivement son univers personnel et ses réflexions, et, plus largement, le régime dans lequel elle vit, nommé « république de Gilead[note 1] », qui a remplacé celui des États-Unis. Le roman décrit un futur dystopique proche où la religion domine la politique dans un régime totalitaire, où les personnes sont catégorisées et ont des rôles très spécifiques, et où les femmes sont dévalorisées jusqu'à l'asservissement. Ces dernières sont divisées en classes : les Épouses, qui dominent la maison et sont les seules femmes ayant un semblant de pouvoir, les Marthas qui entretiennent la maison et s'occupent aussi de la cuisine, les Éconofemmes, épouses des hommes pauvres (et qui regroupent en une seule entité les fonctions d’Épouse, Martha et Servante), les Tantes, qui endoctrinent les Servantes habillées d'amples robes écarlates dont le rôle est la reproduction humaine, et les Jézabel, des prostituées illégales mais très sollicitées par les Commandants. Toutes les autres femmes (trop âgées, infertiles, etc.) sont déportées dans les Colonies où elles manipulent des déchets toxiques. Dans ce futur, le taux de natalité est très bas à cause de la pollution et des déchets toxiques de l'atmosphère ; les rares nouveau-nés sont souvent « inaptes », souffrant de malformations... L'héroïne du roman, Defred, est une Servante (celle « de Fred », son nouveau propriétaire). Elle ne peut pas séduire, son rôle est la reproduction. Elle raconte peu à peu son histoire, se remémore sa famille d'avant Gilead : Luke, son mari ; sa fille (non nommée dans le roman) ; Moira, sa meilleure amie ; sa mère... Son unique raison de vivre, ce à quoi elle se raccroche pour ne pas sombrer, ce sont ses souvenirs. Son récit alterne des instants de son quotidien en tant que servante Defred, des remémorations de sa vie passée avant et dans les débuts de l'instauration du régime de Gilead, ainsi que des périodes de sa formation de Servante, qui est aussi un embrigadement[6] ; il est également marqué par le regard qu'elle porte sur ce qu'elle traverse et la société. La dernière partie du roman, nommée « Notes historiques », fait apparaître une « Transcription partielle des procès-verbaux du Douzième Colloque d’études gileadiennes, tenu dans le cadre du Congrès de l'Association internationale d'histoire, organisé à l'université de Denay, Nunavit, le » : ceci est placé de nombreuses années après le récit fait par Defred et comme partie d'un colloque scientifique ayant trait à la période pendant laquelle la Servante aurait vécu. Le Conte de la Servante écarlate est alors connu et le professeur Piexoto l'analyse en tant que document historique et explique ses recherches quant à ses tentatives d'authentification de celui-ci. Cela fait entrer le récit précédent dans un contexte plus large et ajoute un nouvel éclairage sur celui-ci. RomanMargaret Atwood relate qu'elle a commencé ce roman tandis qu'elle habitait Berlin-Ouest en 1984, avant qu'elle ne déménage au Canada puis en Alabama, où elle en a terminé l'écriture[3]. Dans une interview au New York Times en , l'écrivaine explique aussi qu'à cette époque :
— citation et traduction en français de TV5 Monde[7],[8]. L'automne 1985 voit la parution du roman au Canada, suivie en par les parutions au Royaume-Uni et aux États-Unis[3]. L'auteure éclaire rétrospectivement l'écriture de son ouvrage en affirmant « Les histoires à propos du futur partent toujours d'une question du type « Que se passerait-il si... ? », et La Servante écarlate en a plusieurs », notamment relatives aux moyens, y compris idéologiques, pouvant mener à la conquête du pouvoir aux États-Unis en vue d'une dictature[3]. Elle explique qu'elle s'est basée sur l'idée que les formes de gouvernement radicales des nations sont construites sur des fondements prégnants déjà existants et que pour les États-Unis, ce n'est « pas l'ensemble des structures du siècle des Lumières, relativement récentes, avec leur discours sur l'égalité et la séparation de l’Église et de l’État, mais la brutale théocratie de la Nouvelle-Angleterre puritaine du XVIIe siècle, avec ses préjugés contre les femmes, et à qui une période de chaos social suffirait pour se réaffirmer »[3]. Elle dit avoir imaginé une théocratie qui utiliserait quelques références à la Bible, surtout l'Ancien Testament, en les instrumentalisant[9], avec une société dans laquelle la fertilité est très limitée et menacée, ce qui rend l'enfant et la procréation rares et désirables, et dans laquelle les classes dirigeantes se seraient assurées de posséder ces éléments d'autant plus précieux ; elle met cela en lien avec des désirs plus généraux qu'elle attribue à l'humanité[3]. Ce régime aurait bien sûr une résistance, avec une organisation ; l'auteure analyse cependant qu'avec les évolutions technologiques du XXe siècle, la lutte des résistants ou dissidents aurait été rendue plus difficile qu'imaginé[3]. Margaret Atwood affirme avoir volontairement limité les possibilités imaginées : « je m'étais fixé une règle : je n'inclurais rien que l'humanité n'ait déjà fait ailleurs ou à une autre époque, ou pour lequel la technologie n'existerait pas déjà»[3]. L'écrivaine précise que, bien que souvent vu comme une « dystopie féministe », La servante écarlate n'est pas exactement cela : elle précise que dans une « dystopie féministe pure et simple, tous les hommes auraient des droits bien plus importants que ceux des femmes » ; or, elle définit la société du récit comme « une dictature classique : construite sur le modèle d'une pyramide, avec les plus puissants des deux sexes au sommet à niveau égal — les hommes ayant généralement l'ascendant sur les femmes —, puis des strates de pouvoir et de prestige décroissants, mêlant toujours hommes et femmes, jusqu'au bas de l'échelle où les hommes célibataires doivent servir dans les rangs de l'armée avant de se voir attribuer une Éconofemme » ; elle place les Servantes en une « caste de parias »[3]. Atwood indique que son roman mêle trois grands points qui lui sont importants : la « littérature dystopienne », qui l'a intéressée dès son adolescence avec notamment 1984, Le Meilleur des mondes et Fahrenheit 451, ses études sur les XVIIe et XVIIIe siècles américains, et les dictatures et leur mode de fonctionnement[3]. Par ailleurs, plusieurs évènements de différentes périodes de l'Histoire ont été des sources d'inspiration : l'auteure indique que certaines sont indiquées dans la dernière partie du roman, qui fait un retour sur le régime de Gilead ; d'autres sont le Code d'Hammourabi pour les règles du port des vêtements ; l'enlèvement de femmes pour les réduire en esclavage est ancien et encore d'actualité dans plusieurs régions du monde ; l'interdiction de la lecture et l'écriture a existé dans le sud des États-Unis pour les esclaves, et le vol d'enfants a eu lieu sous différents régimes autoritaires[9]. Des décennies après sa parution, le roman est encore décrit comme « une puissante critique sociale reflétant les dangers des groupes fondamentalistes américains et du fanatisme religieux » sur France Culture[10]. Personnages et organisation sociale dans le romanLes castes dans le régime de GileadLe régime de Gilead[note 2] comporte différents statuts, pour les hommes ou pour les femmes. En ce qui concerne les femmes, il y a notamment les Épouses, femmes des Commandants ; les Marthas, à la fois cuisinières et gouvernantes des maisons ; les Servantes, rattachées à un Commandant dont elles prennent le nom précédé du possessif « de » (en version française, « of » en version anglaise) et formant une caste séparée des autres et dont les membres ont uniquement la fonction de se reproduire avec le Commandant auquel elles sont attribuées ; les Éconofemmes, qui regroupent les trois fonctions précédentes pour des hommes de catégories sociales inférieures aux Commandants ; les Tantes, qui forment notamment les esprits des futures Servantes puis les punissent si elles désobéissent une fois en fonction ; les Jézabel, qui sont des femmes prostituées mais qui semblent former aussi une caste un peu plus libre que d'autres quant à leur pensée. D'autres fonctions existent, telles que Rédemptrice (lors de la cérémonie de « Particicution »). En ce qui concerne les hommes, il y a notamment les Commandants ; les Gardiens, les époux des Éconofemmes. Les gens peuvent parfois être des Yeux (un Œil, au singulier), sortes d'espions du quotidien. Les Servantes, intégralement vêtues de rouge ainsi que d'une coiffe blanche qui limite leur champ de vision et, pour les autres, la vision de leur visage, sont des femmes fertiles qui sont dédiées à la reproduction ; leur costume semble inspiré de celui de certaines nonnes. Attribuées pour des périodes données à des hommes puissants, elles sont forcées d'avoir des relations sexuelles avec le Commandant auprès duquel elles ont été envoyées afin de procréer, au cours de rituels précis reliés à des passages de la Bible, qui ont lieu au moment de leur période d'ovulation. Si elles enfantent un bébé viable selon les critères du régime, l'enfant est donné au couple Commandant-Épouse et considéré comme le leur et non pas comme celui de la Servante. Si elles n'enfantent pas, elles peuvent être attribuées à un autre Commandant ou, si elles sont vues comme devenues infertiles, elles perdent leur statut et ont le risque d'être envoyées dans les Colonies. Personnages du romanLe personnage principal du roman, qui en est aussi la narratrice, est Defred (en version française), dont le nom est Offred dans la version originale en anglais[3]. D'autres personnages importants du quotidien de Defred sont le Commandant, son Épouse Serena Joy, son chauffeur Nick, une autre Servante : Deglen (Ofglen en anglais), et une Martha. Dans les souvenirs les plus anciens de Defred apparaissent notamment Moira, qui était une amie proche, Luke, qui était le mari de la narratrice, et leur fillette. Defred se remémore différentes périodes de son histoire, dont celle où elle est en formation de Servante chez les Tantes, l'une d'elles étant Tante Lydia.
RéceptionRéception critiqueLa Servante écarlate a été acclamé par la critique. L'œuvre de Margaret Atwood a, en effet, permis d'affirmer son statut d'écrivaine. Non seulement le livre a été jugé bien écrit et convaincant, mais le travail d’Atwood a suscité des débats intenses sur des sujets tels que le féminisme. L'auteure précise également que la République de Gilead n’est qu’une extrapolation des tendances déjà observées aux États-Unis au moment de la rédaction de cet article, un point de vue soutenu par de nombreux journaux[12],[13]. De nos jours, de nombreux critiques affirment que le roman reste une des dystopies les plus inquiétantes et puissantes appartenant à la littérature anglophone, en grande partie à cause de son fondement historique[14]. La Servante écarlate est en effet un roman dystopique féministe, combinant les caractéristiques de la fiction dystopique : « un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu'il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contraintes de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre. » et met également en lumière les droits de la femme qui se présente comme devant être l'égale de l'homme mais également la seule arbitre de ses fonctions reproductives [15]. Néanmoins à sa sortie, le roman est loin de convaincre ses lecteurs, à tel point que la critique de Mary McCarthy dans le New York Times de 1986 a fait valoir que La Servante écarlate n’avait pas la « reconnaissance surprise » nécessaire pour que les lecteurs voient « notre moi présent dans un miroir déformant, de ce que nous pourrions devenir si les tendances actuelles se poursuivent ». Culture populaire et inspirations historiquesLa phrase en latin potache Nolite te bastardes carborundorum, qu'à la demande de Defred M. Waterford traduit par Don’t let the bastards grind you down (« Ne laisse pas les salauds te broyer » en anglais)[16] — transformée dans la traduction française en Nolite te salopardes exterminorum[17], ce qui signifie approximativement : « ne laisse pas les salauds te retrancher de la communauté humaine »[18] — est devenue chez les anglophones une phrase populaire représentant ce roman[réf. nécessaire]. Cette phrase, découverte dans le recoin d'une armoire par Defred, qui l'attribue à la Servante précédente ayant vécu dans sa chambre, lui sert de maxime pour se donner du courage et tenter de résister intellectuellement. Margaret Atwood s'est inspirée de plusieurs faits historiques pour créer son univers. L'identification des classes de la société par des couleurs et les « camps », rappellent le système de marquage nazi des prisonniers qui identifiait différemment Juifs et autres déportés dans les camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale. : elle a dit s'être également inspiré du roman de Nathaniel Hawthorne, La Lettre écarlate[19]. Le costume rouge à coiffe blanche des Servantes a été ultérieurement utilisé par des militantes en tant que symbole, au cours de manifestations pour le droit des femmes ou celui à l'avortement, aux États-Unis[20],[14] et dans d'autres pays du monde tels que l'Argentine, l'Irlande, la Belgique ou la Pologne[20],[21]. Distinctions
Éditions
Adaptations
Notes et références
NotesRéférences
AnnexesLiens externes
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