La bossa nova, aussi stylisé bossanova, ou bossa-nova[5], familièrement la « bossa », est un genre musical ayant émergé à la fin des années 1950 à Rio de Janeiro, au Brésil. Elle prend ses racines dans la samba et le cool jazz. La bossa nova devient l'un des styles musicaux brésiliens les plus connus dans le monde, se popularisant significativement à partir du début des années 1960, d'abord aux États-Unis puis en Europe et au Japon.
La bossa nova a connu son pic de popularité mondial dans les années 1960, mais est restée appréciée par la suite. À partir de la fin des années 1980, on assiste à un regain d'intérêt pour le genre à travers le monde[6]. Pour beaucoup, la bossa nova est synonyme de musique brésilienne[7]. Parmi les morceaux de bossa nova les plus connus figurent Águas de Março, Desafinado, Garota de Ipanema, Samba de Verão et Wave[8].
L'impact de la bossa nova sur la musique mondiale ne s'arrête pas seulement à un nouveau genre musical. La bossa nova a influencé durablement le jazz[9], la musique populaire nord-américaine, la chanson européenne et la musique de film.
Terminologie
Le nom de bossa nova vient du mot portugais brésilienbossa, qui signifie au premier degré « bosse » (de baleine, de chameau), et peut se traduire au second degré par « onde », « vague » (de la mer), « aptitude », « vocation » (littéralement, « nouvelle vague », « avoir la bosse pour quelque chose ») et dans ce cas précis par « tendance ».
L'expression bossa nova peut être traduite par « nouvelle vague ».
À partir du début des années 1950, plusieurs musiciens brésiliens, en particulier le pianiste Johnny Alf et les guitaristes Laurindo Almeida et Luiz Bonfá, expérimentent avec l'ajout d'éléments de samba dans l'interprétation du jazz[10],[11].
C'est sur ces fondations que la bossa nova va être créée à la fin des années 1950 par un groupe composé du chanteur et guitariste João Gilberto, du compositeur Antônio Carlos Jobim (également connu sous le nom artistique de Tom Jobim) et du poète Vinícius de Moraes[12].
La bossa nova est la réponse aux attentes des jeunes musiciens des classes moyennes de Rio de Janeiro. Ceux-ci sont à la recherche de modernité, d'une nouvelle manière d'interpréter les chansons, d'une musique plus épurée, de paroles optimistes qui reflètent leurs aspirations. Ils apprécient la musique nord-américaine, en particulier les disques de Frank Sinatra et de Chet Baker. Ils rejettent les formes musicales brésiliennes en vogue telles que les sambas de type carnaval avec une utilisation massive des percussions et les samba-canção offrant des compositions simples, une harmonie standard, des textes sentimentaux, fréquemment mélodramatiques, et interprétées par des chanteurs à la voix pleine de vibrato[13],[14].
Des réunions se tiennent dans les appartements chics de la Zona Sul(pt) de Rio de Janeiro, principalement dans les quartiers d'Ipanema et de Copacabana. Dans l'un de ces appartements habite Nara Leão, une étudiante en musique qui accompagne les débuts de la bossa nova. Chez elle, avec parfois la présence d'Antônio Carlos Jobim et de João Gilberto, les jeunes musiciens cariocas se rencontrent pour composer, improviser ou réinterpréter des standards de jazz dans le nouveau style musical développé par Jobim et Gilberto ; parmi eux on trouve Carlos Lyra, Roberto Menescal (futur guitariste des Copa 5), Normando Santos, Sérgio Ricardo, Aloysio de Oliveira (producteur musical et plus tard fondateur du label Elenco Records), Oscar Castro-Neves, Sylvia Telles, et le journaliste Ronaldo Bôscoli (qui a contribué à populariser le nouveau courant en le baptisant bossa nova dans ses articles)[15].
La divulgation du nouveau style musical pratiqué par les amis de Nara Leão débute dans les boîtes de nuit de la Beco das Garrafas, située à Copacabana, où les jeunes musiciens cariocas commencent à interpréter la bossa nova en public[16].
C'est dans l'album de la chanteuse brésilienne Elizeth Cardoso intitulé Canção do Amor Demais, enregistré à Rio de Janeiro en avril 1958 et publié le mois suivant, que l'ont peut entendre pour la première fois la bossa nova sur disque. L'album, avec des compositions et des arrangements de Tom Jobim, comprend deux titres où João Gilberto joue à la guitare avec la rythmique caractéristique de la bossa nova : Chega de Saudade et Outra Vez[17]. Chega de saudade apporte une grande nouveauté par la façon dont João Gilberto joue de la guitare : le décalage est permanent entre la mélodie et l'accompagnement rythmique[18].
La popularité de la bossa nova au Brésil commence l'année suivante avec la sortie en mars 1959 de l'album de João Gilberto Chega de Saudade, dont les titres ont été enregistrés aux studios Odeon à Rio entre juillet 1958 et le début de 1959[19]. Sur ce disque, João Gilberto interprète trois chansons d'Antônio Carlos Jobim (deux sur des paroles de Vinícius de Moraes (Chega de Saudade et Brigas, nunca mais) et une sur des paroles de Newton Mendonça (Desafinado), trois chansons de Carlos Lyra, deux compositions personnelles, et reprend à sa manière d'anciennes sambas, y compris une chanson de Dorival Caymmi (Rosa Morena).
En 1961, lors d'une tournée au Brésil, le guitariste de jazz américain Charlie Byrd découvre la bossa nova. À son retour, il fait écouter les disques de João Gilberto au saxophoniste Stan Getz. Les deux décident d'enregistrer ensemble en 1962 un album intitulé Jazz Samba qui reprend plusieurs titres de Gilberto. Jazz Samba connaît un grand succès et marque le début de la vague de bossa nova aux États-Unis.
Dans la foulée de ce succès, Stan Getz enregistre en 1963 un nouvel album, Getz/Gilberto, en collaboration avec João Gilberto, accompagné de sa femme Astrud, et Tom Jobim[3]. La première piste de l'album est la chanson Garota de Ipanema (The Girl from Ipanema, en anglais), interprétée par João Gilberto et Astrud Gilberto. Grâce à ce titre, la bossa nova remporte un succès planétaire lors de la sortie de l'album en 1964.
Garota de Ipanema et deux autres titres de l'album Getz/Giberto, Corcovado et Desafinado, deviennent des standards de jazz et sont inclus dans le Real Book, la « bible » des musiciens de jazz[20].
La bossa nova est née à Rio de Janeiro, alors capitale du Brésil, durant une période de croissance économique et de stabilité politique où l'optimisme était de mise. Les musiciens de bossa nova font partie de la classe moyenne de Rio qui fréquente les clubs de jazz et est influencée par la culture nord-américaine. Les paroles des chansons de la bossa nova traitent de thèmes légers comme l'amour, les plages de Rio, ou la beauté des femmes brésiliennes. Avec la fin de la croissance au Brésil au début des années 1960, qui conduit à une grave crise économique, et la prise de conscience des inégalités extrêmes entre les régions, un nombre croissant de brésiliens rejette l'insouciance de la bossa nova[21].
Au moment où le coup d'État de 1964 instaure la dictature militaire, la bossa nova stricto sensu prend fin au Brésil. Une nouvelle génération d'artistes brésiliens, surnommée la « seconde génération de la bossa nova »[22], et dont font partie des artistes tels que Edu Lobo, Maria Bethânia, Gilberto Gil, Caetano Veloso et Chico Buarque, œuvre à transformer la bossa nova pour qu'elle soit plus en phase avec la réalité politique et sociale du Brésil et qu'elle incorpore d'autres styles musicaux populaires brésiliens comme la samba de Bahia, le choro ou la modinha. Plusieurs créateurs historiques de la bossa nova, à l'instar de Carlos Lyra et de Vinícius de Moraes, rejoignent ce mouvement qui prend le nom de MPB (« Musique Populaire Brésilienne »)[23].
Un autre facteur contribuant à l'émergence de la MPB au Brésil est l'apparition au début des années 1960 de nouveaux talents comme Jorge Ben Jor, Elis Regina et Wilson Simonal. Ces artistes ne cherchent pas à changer la bossa nova mais leur style vocal, inspiré par la musique soul, et leur talent scénique ont un impact important sur la manière d'interpréter la bossa et sur la musique brésilienne en général[24],[25]. En 1965, Elis Regina interprète la chanson Arrastão, composée par Edu Lobo avec des paroles de Vinícius de Moraes, et remporte le premier prix au 1er Festival de Música Popular Brasileira. Cet événement marque le début de la MPB[26].
Sous l'influence de Caetano Veloso et de Gilberto Gil, une variante de la MPB, connue sous le nom de Tropicália, verra le jour en 1967. La Tropicália se distingue de la MPB par l'addition du rock psychédélique dans le mix musical. Le genre ne survivra pas le déclin du rock psychédélique qui s'observe à partir de 1969 aux États-Unis et en Europe.
In fine, la bossa nova s'est enrichie de l'apport musical de la MPB et vice versa. Plusieurs albums importants de la bossa nova comme Stone Flower d'Antônio Carlos Jobim paru en 1971, João Gilberto de João Gilberto paru en 1973, et Elis & Tom paru en 1974, ont bénéficié de l'influence de la MPB. De même, une part non négligeable du répertoire de la MPB est de style bossa nova. On peut par exemple citer l'album Domingo de Caetano Veloso et Gal Costa paru en 1967 ou l'album Chico Buarque de Hollanda Volume 3 de Chico Buarque paru en 1968, qui sont tous deux musicalement de style bossa nova. La MPB a permis le maintien de la popularité de la bossa nova au Brésil, en lui évitant de n'être qu'un phénomène de mode.
La bossa nova a eu un rôle important, non seulement dans l'histoire de la musique brésilienne, mais aussi dans l'histoire de la musique mondiale. Antônio Carlos Jobim a été surnommé le « George Gershwin brésilien »[27] et est considéré comme l'un des plus importants contributeurs non-américains du Great American Songbook[28].
Le nouveau style musical brésilien a introduit des harmonies complexes, une relation étroite entre paroles et musique ainsi qu'une préoccupation générale pour l'arrangement et la forme musicale[29]. La bossa nova a eu une influence significative sur la musique populaire nord-américaine des années 1960 et 1970[30], en particulier sur les œuvres de Burt Bacharach[31] et de Stevie Wonder[32].
La bossa nova a eu également un impact majeur sur le jazz. Si le jazz fait partie de l'ADN de la bossa nova, l'influence de la bossa nova sur le jazz à partir du début des années 1960 a été déterminante. Elle a offert aux musiciens de jazz américains la possibilité de se renouveler avec, d'une part, l'utilisation d'un nouveau rythme et, d'autre part, l'apport des compositions de bossa nova qui constituent une nouvelle source de standards pour leur répertoire.
L'interprétation de la bossa nova telle que l'ont faite les musiciens américains de Jazz West Coast, comme Bob Brookmeyer ou Paul Desmond, dans la lignée des musiciens de jazz brésiliens, a conduit à un nouveau style de jazz, souvent appelé lui-même bossa nova. On peut lui préférer le nom de « samba jazz », terme utilisé au Brésil, ou de « bossa jazz », en raison des différences qu'il présente avec la bossa nova originelle de João Gilberto et de Tom Jobim (en particulier le caractère moins intimiste des interprétations, l'utilisation de tempos plus rapides et la prépondérance de la batterie).
D'autres musiciens, comme Dizzy Gillespie et Cal Tjader, qui avaient incorporé les rythmes afro-cubains dans le jazz bebop, créant ainsi le latin jazz, découvrent les rythmes afro-brésiliens à travers le samba jazz et travaillent à les intégrer au latin jazz. Parmi les musiciens qui ont contribué à cet effort, on peut citer Lalo Schifrin, Horace Silver et George Shearing.
La nouvelle génération de musiciens de jazz américains apparue au milieu des années 1950, qui a créé un nouveau style de jazz surnommé « hard bop », s'intéresse aussi au samba jazz et incorpore les rythmes afro-brésiliens au hard bop. Donald Byrd, Herbie Hancock, Joe Henderson et Lee Morgan sont les principaux artisans de cette évolution. Plusieurs musiciens de jazz brésiliens venus travailler aux États-Unis, tels que Airto Moreira et Hermeto Pascoal, les rejoignent et influencent ce mouvement.
Dorival Caymmi, l'un des plus importants compositeurs de samba, et João Gilberto, avec la collaboration d’Antônio Carlos Jobim, ont apporté plusieurs innovations et modifications à la samba traditionnelle. La bossa nova n'a pas remplacé le samba mais a offert une alternative musicale aux classes moyennes et dirigeantes. En effet, la bossa nova alterne de nombreux paramètres stylistiques, recherchant une certaine intégration dynamique de la mélodie, une harmonie particulière et un rythme lent tout en adoucissant le rôle du vocaliste en tant qu'élément central du morceau musical.
Au niveau rythmique, la bossa nova reprend à la basse le rythme répétitif du surdo (sorte de grosse caisse) de la samba, en utilisant des croches plutôt que des doubles croches. Le temps fort est également joué plus doucement, tandis-que le 3e temps est accentué[33], et y apporte des rythmes syncopés variés au chant.
Les basses sont jouées sur tonale et quinte, avec plusieurs progressions possibles, voici un exemple :
Cette approche musicale contraste nettement avec le style du samba-cançao. A felicidade (enregistré par João Gilberto en 1959), du film Orfeu Negro de Marcel Camus, est un excellent exemple de ce contraste. Dans cette chanson, la samba traditionnelle de carnaval alterne avec les styles caractéristiques de la bossa nova.
Au niveau mélodique, João Gilberto intègre des accords comprenant un 9e degré, ajoutant une touche très particulière à ce style musical.
Le jazz joue une forte influence[3], parfois contestée[34], dans le développement de la bossa nova.
Au début des années 1950, avant de devenir compositeur et arrangeur, Antônio Carlos Jobim était pianiste de bar[35] et côtoyait des musiciens de jazz, parmi lesquels Johnny Alf, dont les innovations musicales contribueront à la création de la bossa nova[36], et Newton Mendonça, avec qui Jobim composera quelques standards de bossa (Desafinado et Samba de Uma Nota Só étant les plus connus).
En 1953, le guitariste brésilien Laurindo Almeida, qui vit aux États-Unis, a l'idée de mêler les rythmes brésiliens avec le jazz West Coast. En compagnie du saxophoniste américain Bud Shank, il enregistre l'album Laurindo Almeida Quartet featuring Bud Shank qui sort en 1954. La collaboration entre Almeida et Shank va se poursuivre et deux autres albums dans le même style verront le jour. Avec son mélange de samba et de jazz, Laurindo Almeida est considéré comme le musicien qui a bati les fondations sur lesquelles la bossa nova a pu être créée par Jobim et Gilberto. Almeida évoluera lui-même vers la bossa nova au début des années 1960[37].
Plusieurs musiciens de jazz brésiliens rejoignent le mouvement de la bossa nova à ses débuts en 1958-1959 et vont influer sur son développement. On peut citer le flûtiste et saxophoniste J. T. Meirelles, le pianiste et crooner Dick Farney, le guitariste Roberto Menescal, les batteurs Edison Machado et Milton Banana, l'organiste et pianiste Walter Wanderley, le pianiste Luiz Eça, le tromboniste Raul de Souza, le saxophoniste Moacir Silva(pt), le pianiste et compositeur João Donato et le pianiste Sérgio Mendes, qui plus tard avec son groupe Brasil '66 incorporera des sonorités pop à la bossa nova, la rendant plus populaire qu'élitiste.
Musique classique
Si la bossa nova est influencée par le jazz[3], Jobim s'est toujours considéré de tradition classique. L'analyse harmonique des compositions de Jobim montre clairement que les accords enrichis de la bossa nova s'écartent de l'usage en vigueur dans le jazz à l'époque (fin des années 1950 / fin des années 1960). Le défunt professeur d'harmonie et de guitare brésilienne Almir Chediak[38] révèle la construction harmonique des œuvres bossa-novistes et en particulier celles de Jobim : là où la majorité des standards de jazz se limitait aux accords de 9e, la bossa nova n'hésitait pas à pousser l'utilisation des extensions jusqu'aux 11e et 13e, diminuées ou augmentées. Cette complexification harmonique, toute naturelle dans la bossa nova, n'était pas le souci des jazzmen. Jobim avait d'ailleurs coutume de dire que la bossa nova était une musique de chambre populaire.
Les standards Garota de Ipanema, Insensatez, suggèrent directement Debussy ou Chopin(Prélude à l'Après-midi d'un faune, Suite bergamasque, Deux Arabesques pour ce qui est de Debussy et Prélude en Mi Mineur, pour ce qui est de Chopin). Sans parler de Ravel, Stravinsky ou du Brésilien Villa-Lobos. D'ailleurs, le saxophoniste baryton Gerry Mulligan dans son album Night Lights, plutôt que de reprendre Insensatez, s'attache à livrer son interprétation du Prélude en Mi Mineur de Chopin[39].
En 1958, l'artiste français Henri Salvador enregistre la chanson Dans mon île, qu'il a composée sous la forme d'un boléro[40]. Il la chante sur le disque dans le style crooner, en s'accompagnant à la guitare.
La même année, Henri Salvador participe au film documentaire italien Europa di notte où il interprète Dans mon île, dans la même version que sur celle du disque. Ce film sort au Brésil au printemps 1959. Lors de sa projection à Rio de Janeiro, plusieurs musiciens de la mouvance bossa nova, dont Nara Leão et Roberto Menescal, sont présents dans la salle[41]. Ils sont enthousiasmés par la chanson de Salvador et la font découvrir à Antônio Carlos Jobim[42]. Le pianiste Sérgio Mendes a rapporté à Henri Salvador que Jobim, après avoir écouté Dans mon île, s'est dit : « C'est ça qu'il faut faire, ralentir le tempo de la samba et mettre des belles mélodies »[43],[44],[note 1].
En 2018, le film documentaire intitulé Face B comme bossa, l'autre histoire d'Henri Salvador confirme que cette chanson a bien influé sur la bossa nova à la fin des années 1950[45],[46]. Dans ce documentaire, Roberto Menescal raconte ce qu'il a dit à Henri Salvador lors leur rencontre au Brésil en 2005 : « … La Bossa Nova allait exister quoi qu'il arrive, mais elle ne serait pas ce qu'elle est sans vous … »[45].
Instruments et approche orchestrale
La guitare classique est l'instrument emblématique de la bossa nova. La forme musicale originelle de la bossa nova créée par João Gilberto est composée d'un chanteur à la voix intimiste qui s'accompagne à la guitare acoustique en utilisant la technique de jeu picking[47]. Parmi les artistes qui ont interprété la bossa nova selon la vision de Gilberto, on peut citer la chanteuse franco-italienne Caterina Valente[48],[49].
Cependant, la forme musicale qui a permis à la bossa nova de se faire connaître dans le monde entier a été conçue par Antônio Carlos Jobim pour les besoins des premiers disques de João Gilberto, dont il était responsable des arrangements. Au rythme joué à la guitare par Gilberto, la batida, et à sa voix, Jobim a ajouté plusieurs instruments dans l'orchestration des morceaux : un piano, des percussions de samba (ganzá, tamborim, bongos, agogô, wood-block), une section de bois, une section de cordes et une section de cuivres. Pour la partie chantée, Jobim a ajouté aux paroles des vocalises et du scat. Dès les débuts de la bossa nova, Jobim fait le choix dans ses arrangements d'une approche orchestrale easy listening[50] inspirée par les standards américains.
En parallèle au travail réalisé par Jobim, trois musiciens, Carlos Monteiro de Souza, Lindolfo Gaya et Enrico Simonetti, respectivement directeur musical chez Philips au Brésil[51], arrangeur et chef d'orchestre dans les studios d'Odeon à Rio[52], et directeur artistique et chef d'orchestre chez RGE[53], apportent plusieurs innovations aux arrangements de bossa nova. Ils enrichissent le son de Jobim en utilisant des orchestrations luxuriantes, en ajoutant des chœurs ou avec l'addition d'instruments musicaux tels que le vibraphone, l'accordéon, l'orgue Hammond, les congas ou le reco-reco. Ils innovent également en intégrant le rythme de la bossa nova à d'autres genres musicaux tels que la samba-canção, le swing, la musique cubaine ou la musique de variété nord-américaine. L'approche orchestrale définie par Jobim, avec les ajouts des maestros Monteiro de Souza, Gaya et Simonetti, devient le de facto standard pour l'écriture des arrangements de bossa nova, tant au Brésil que dans le reste du monde.
Au cours de cette même période, l'approche orchestrale de Jobim est revisitée par les musiciens de jazz brésiliens, essentiellement de style bebop. Ceux-ci sont désireux d'interpréter les compositions de bossa nova et d'improviser sur ces morceaux avec les instruments typiques du jazz : le piano, la batterie, la contrebasse, le saxophone, le trombone, la trompette et la guitare amplifiée. L'un des précurseurs au Brésil de l'interprétation de la bossa selon les codes du jazz est le Conjuto Bossa Nova[54]. Il sera suivi par le groupe Os Cobras[55] et par le pianiste Sérgio Mendes avec son sextette[56]. La bossa nova telle que jouée par ces formations de jazz a été baptisée au Brésil « Samba jazz ». C'est principalement sous cette forme que la bossa nova a été introduite aux États-Unis au début des années 1960.
Artistes
Un grand nombre de chanteurs, auteurs-compositeurs, paroliers, producteurs, musiciens, arrangeurs, chefs d'orchestre, et compositeurs de musique de films ont contribué à la création, à la popularisation, à la diffusion et à la perpétuation de la bossa nova tant au Brésil que dans le reste du monde[57].
La bossa nova fait son apparition aux États-Unis au début de l'hiver 1959 avec la sortie du film Orfeu Negro. En 1961, la chanteuse franco-italienne Caterina Valente, de retour d'une tournée en Amérique du Sud, fait connaître le nouveau style musical à un public plus large avec son interprétation à la télévision américaine de la chanson Corcovado dans le cadre du show télévisé hebdomadaire de Perry Como sur NBC[58],[59]. La même année, le trompettiste de jazz Dizzy Gillespie et son quintette, dont fait partie le pianiste argentin Lalo Schifrin, commencent à inclure des morceaux de bossa nova dans leurs concerts, musique que Gillespie et Schiffrin ont découvert lors de séjours au Brésil[60],[61]. Toujours en 1961, le guitariste Herb Ellis enregistre pour Verve le morceau de bossa nova One Note Samba[62]. Mais c'est au guitariste de jazz américain Charlie Byrd a qui l'on doit le début de la popularité de la bossa nova aux États-Unis. Dans le cadre d'une tournée au Brésil en 1961, il découvre lui aussi la bossa nova. À son retour, il propose au saxophoniste de jazz Stan Getz d'enregistrer un album reprenant plusieurs des titres interprétés par João Gilberto dans ses premiers disques. L'album, produit sous la houlette de Creed Taylor et intitulé Jazz Samba, sort en avril 1962 et rencontre un grand succès auprès du public[63].
Le domaine de la chanson n'est pas en reste. Dès 1962, plusieurs des titres composés par Antônio Carlos Jobim sont traduits en anglais, notamment par les paroliers Ray Gilbert, Norman Gimbel et Gene Lees, et enregistrées par des chanteurs et des chanteuses tels que Tony Bennett[68], Eydie Gormé[69] et Ella Fitzgerald[70]. En 1963, le chanteur Jon Hendricks enregistre l'album Salud! Joäo Gilberto, Originator of the Bossa Nova reprenant douze titres tirés des premiers disques de Gilberto[71].
En parallèle, le compositeur Henry Mancini est l'un des premiers à utiliser la bossa nova dans des musiques de films aux États-Unis[72]. On peut notamment citer le film Diamants sur canapé sorti en octobre 1961. À sa suite, Jerry Goldsmith, Quincy Jones, Lalo Schifrin et John Williams s'inspireront de la bossa nova dans l'écriture de plusieurs de leur thèmes pour le cinéma.
Au fil des années, d'autres artistes américains ont contribué à la bossa nova. Parmi eux, on peut mentionner :
Dans la seconde moitié de 1959, l'Europe découvre également la bossa nova avec la sortie du film Orfeu Negro. Plusieurs artistes européens, tels que Caterina Valente, Pierre Barouh, Sacha Distel, et Michel Legrand deviennent les chantres du nouveau style musical en Europe[73],[74]. Caterina Valente est la première interprète non-brésilienne de bossa nova dans plusieurs pays européens[75],[76],[77],[78].
Dans le domaine du cinéma, la bossa nova a inspiré un nombre important de compositeurs européens de musique de films, notamment Michel Legrand, John Barry, Francis Lai, Ennio Morricone et Piero Piccioni. Michel Legrand est l'un des premiers à avoir utilisé la bossa nova au cinéma (pour le film Love is a Ball sorti en août 1963[79]).
Parmi les autres artistes européens qui ont contribué à la popularité de la bossa nova, on peut citer :
Les listes (non exhaustives) qui suivent comprennent des albums studios, des albums live, des compilations ainsi que des reprises en bossa nova, enregistrés au Brésil, en Amérique du Nord, en Europe et au Japon à partir de 1958. Tous les albums cités sont répertoriés sur Discogs et la plupart peuvent être écoutés sur YouTube. La maison de disques, le numéro de catalogue et le pays de publication indiqués pour chaque album sont ceux de l'édition originale.
Au début des années 1960, à l'arrivée de la bossa nova aux États-Unis et en Europe, les compositeurs de musique pour le cinéma et la télévision sont séduits par ce nouveau genre et s'en inspirent dans la création de leurs thèmes musicaux. Les metteurs en scènes sont également conquis et font appel à des musiciens de bossa nova et de jazz pour écrire la musique de leurs films ou de leurs séries télévisées. Les musiciens de jazz embauchés par les studios, tels que Quincy Jones et Lalo Schifrin, utilisent non seulement la bossa nova stricto sensu dans leurs créations mais également les nouvelles formes de jazz inspirées par la bossa nova, telles que le latin jazz brésilien et la hard bossa, ainsi que les rythmes afro-cubains (boléro, cha-cha-cha, et mambo). La fusion de tous ces styles crée le son musical caractéristique des productions américaines realisées à partir du milieu des années 1960, en particulier dans les genres espionnage, policier et science fiction.
Les listes qui suivent ne sont pas exhaustives (sources utilisées : IMDb, Discogs, YouTube, INA). Il faut également noter qu'elles incluent des bandes originales utilisant la bossa nova mais dont le thème le plus connu du public est d'un autre genre musical (par exemple, le thème du générique de la Panthère Rose qui est de style swing).
Radio Caprice - Bossa Nova (disponible sur radio.net)
Radio Estilo Leblon (disponible sur radio.net)
Rádio Jovem FM Bossa Nova (disponible sur RadiosNet)
Smooth FM Bossa Nova (disponible sur myTuner)
Notes et références
Notes
↑Ruy Castro, historien de la bossa nova, met en doute la véracité de cette affirmation sur l'influence de la chanson Dans mon île dans un article paru le 16 février 2008 dans le journal Folha de S. Paulo[1].
Références
(pt) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en portugais intitulé « Bossa nova » (voir la liste des auteurs).
↑Rebecca Manzoni, Pop'n Co, 10 octobre 2020, interview d'Anaïs Fléchet. Elle relève qu'il est très difficile ainsi de chanter et de jouer simultanément.
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
François-Xavier Freland, Sarava ! : Rencontres avec la bossa-nova, éditions Naive Livre, Paris, 2005
Chris McGowan et Ricardo Pessanha, Le Son du Brésil : Samba, bossa nova et musique populaire brésilienne, Paris, Éditions Viamédias, (ISBN9782849640357).
Jean-Paul Delfino, Brasil bossa nova, éditions Edisud, Paris, 1988
Jean-Paul Delfino, Brasil a musica, éditions Parenthèses, Paris, 1998
(pt) Ruy Castro, Chega de Saudade : A história e as histórias da bossa nova, São Paulo, Companhia das Letras, (ISBN9788535927528).
(pt) Ruy Castro, A Onda que se Ergueu no Mar, Companhia das Letras, São Paulo, 2001
(it) Giancarlo Mei, Canto Latino: Origine, Evoluzione e Protagonisti della Musica Popolare del Brasile, Stampa Alternativa-Nuovi Equilibri, . Préface : Sergio Bardotti. Contribution : Milton Nascimento.
(pt) Lui Morais, O sol nasceu pra todos (a história secreta do samba), Rio de Janeiro, Editora Litteris, .