Murray BookchinMurray Bookchin
Murray Bookchin, né le et mort le , est un philosophe, militant et essayiste écologiste libertaire américain. Il est considéré aux États-Unis comme l'un des penseurs les plus marquants de la Nouvelle gauche américaine (New Left). Il est le fondateur de l'écologie sociale, école de pensée qui propose une nouvelle vision politique et philosophique du rapport entre l’être humain et son environnement, ainsi qu'une nouvelle organisation sociale par la mise en œuvre du municipalisme libertaire ou communalisme. L'influence considérable de ses idées sur le dirigeant kurde Abdullah Öcalan a conduit à l'élaboration du confédéralisme démocratique, modèle politique adopté par des régimes égalitaristes comme le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à partir de 2005, puis par le Parti de l'union démocratique (PYD) en Syrie, où il connait un début de mise en œuvre par l'Armée syrienne libre, les Forces démocratiques syriennes (FDS) et leurs constituants kurdes dans les cantons du Rojava, repris à l'Etat islamique lors de la Guerre civile syrienne. BiographieNé en 1921 à New York, Murray Bookchin a grandi dans le milieu juif ashkénaze yiddishophone et socialo-communiste du Bronx des années 1920 et, ainsi qu'il le décrit lui-même, comme un « bébé en couche-culotte rouge[1] » imprégné de l'espérance immense soulevée par la révolution russe dans une population locale d'immigrés et d'ouvriers globalement marginalisés et ostracisés et, en même temps, des idéaux anarchisants de sa grand-mère maternelle qui avait été membre des socialistes révolutionnaires sous le régime tsariste[2]. Ses parents, juifs ashkénazes russes, comme la majeure partie du voisinage yiddishophone du Bronx[3], avaient appartenu à un mouvement anarcho-syndicaliste avant de gagner les États-Unis lors de la répression tsariste de la révolution de 1905[4]. Comme le rappelle Peter Einarsson à propos du Bronx en introduction de son entretien avec l'écrivain : « Il y avait là plus d'un million de Juifs, arrivés des pays de l'Est en l'espace de cinquante ans. Ils formaient une ville dans la ville, avec ses journaux, ses théâtres, ses langues — le yiddish et le russe — sa religion (pratiquée, réformée, réinterprétée ou reniée), son économie presque autarcique[5]. » En réponse, Murray Bookchin précise : « Ma famille et ma vie privée étaient très anarchistes. Il y avait alors un socialisme, depuis longtemps disparu, mais que je me rappelle parfaitement, un socialisme « humaniste ». Je veux dire par là qu'il était possible à des gens de convictions très diverses, anarchistes ou marxistes, utopistes ou intellectuels, de se parler. Il y avait un dialogue, les gens se mêlaient dans les mêmes cercles. Emma Goldman était très liée avec plusieurs marxistes, par exemple avec John Reed[6]. » Politiquement, les bolcheviks bénéficiaient aux yeux de sa famille du crédit d'avoir renversé le tsar[1]. En 1930, à l'âge de 9 ans, le jeune Murray entrait dans les mouvements de jeunesse communistes : il milita d'abord au sein des Jeunes Pionniers (en), puis de la Ligue des jeunes communistes (YCL)[7], à partir de 1936[1]. Dans la rue, où il vendait le quotidien du Parti[4], il apprit la prise de parole ; il participa aux grèves des loyers et à l'organisation des chômeurs, et finit par prendre en charge le programme de formation de son groupe[2]. En désaccord avec la ligne de « front populaire » adoptée en 1935 sous la direction de Staline, mais très engagé dans la mobilisation antifasciste autour de la guerre d'Espagne, il resta dans le mouvement jusqu'à son exclusion en , à la suite du pacte germano-soviétique, pour « déviationnisme trotsko-anarchiste »[7]. Il se tourna alors vers le trotskisme, rejoignant le Parti socialiste des travailleurs, et à 18 ans trouva à s'embaucher comme ouvrier dans une fonderie[4] où il resta quatre années, découvrant l'engagement syndical au sein du Congrès des organisations industrielles (CIO)[7]. Après avoir servi dans l'armée, il entra chez General Motors, à temps pour voir les négociations de 1948 mettre fin à la grande grève de l'automobile[4]. Il commença alors à remettre en question la croyance au rôle « hégémonique » ou « d'avant-garde » de la classe ouvrière et à prendre ses distances avec les trotskistes, qui partageaient à ses yeux l'autoritarisme du bolchevisme[7]. Dans les années 1950, Murray Bookchin reprit des études et rompit avec le trotskisme pour s'orienter vers l'anarchisme[4]. Dès 1952, il publiait un article (« The Problem of Chemicals in Food »[7]) qui dénonçait les effets des pesticides, en établissant dès le départ entre système de production capitaliste et destruction écologique un lien qu'il s'est ensuite attaché à démontrer à travers toute son œuvre (de Our Synthetic Environment, en 1962, jusqu'à Social Ecology and Communalism, paru en 2007). Convaincu de la nécessité d'un travail de conscientisation, il s'est consacré de façon croissante à l'éducation populaire. Au cours des années 1960, tout en enseignant dans des universités « alternatives », il milita au Congress of Racial Equality, au sein du mouvement des droits civiques, puis cofonda la Fédération new-yorkaise des anarchistes. À la même époque, il posait les bases de ce qu'il a appelé l'écologie sociale (article « Ecology and Revolutionary Thought », 1964[7]) et commençait à s'intéresser aux villes et à l'urbanisme (Crisis in our Cities, 1965). Alors plutôt technophile et optimiste sur la possibilité d'une utilisation émancipatrice de la technologie (« Towards a Liberatory Technology », 1965[7]), il se plaçait dans la perspective de l'« après-rareté » (post-scarcity), s'attachant à dessiner les contours d'une « utopie réalisable ». En 1969, il fit paraitre un pamphlet, Listen, Marxist! (traduit sous le titre Écoute, camarade !), qui rejetait le communisme autoritaire et le marxisme lui-même[8]. À partir des années 1970, établi dans le Vermont, il continua d'enseigner tout en développant des projets personnels ; il participa à la création d'un café-restaurant autogéré, milita dans le mouvement antinucléaire et fonda l'Institut pour l'écologie sociale, qui devait devenir au cours de la décennie suivante un haut lieu de l'écologie radicale[8]. Après avoir mis en garde dans plusieurs essais contre les progrès d'un environnementalisme réformiste et étatiste au sein du mouvement écologiste, il approfondit au cours des années 1980 sa réflexion sur l'écologie et les hiérarchies sociales (The Ecology of Freedom: The Emergence and Dissolution of Hierarchy, 1985)[7]. Se plaçant dans l'optique d'une révolution structurelle, inscrite dans le temps long, et d'une action politique centrée sur la ville, renouant notamment avec l'inspiration de la Commune de Paris, il élabora un modèle, le municipalisme libertaire, où des communes libres, se gouvernant selon les principes de la démocratie directe, s'associent dans une confédération communale, destinée à terme à se substituer aux États-nations[9] (The Rise of Urbanization and the Decline of Citizenship, 1986[7]). Alors que la seconde moitié des années 1980 le vit mettre en question les positions défendues par l'écologie profonde, dont il jugeait les implications politiques réactionnaires, les années 1990 et 2000 furent celles d'une prise de distance progressive à l'égard des anarchistes[7], parmi lesquels son adhésion affirmée à des principes comme le vote majoritaire ou la participation aux élections locales suscitait des controverses croissantes[9]. Après avoir critiqué l'anarchisme « style de vie »[8] (Social Anarchism or Lifestyle Anarchism: An Unbridgeable Chasm, 1995[7]), il cesse de se définir comme anarchiste, s'affirmant simplement communaliste[9] (« The Communalist Project », 2002[7]) qu'il définit comme la dimension démocratique de l'anarchisme. Murray Bookchin est mort le , à son domicile de Burlington, d'une défaillance cardiaque[7]. PositionsÉcologie socialeMurray Bookchin s'oppose à la vision productiviste d'une intelligence humaine séparée d'une nature qu'elle ne vise qu'à transformer en ressources, conception propre à un humanisme progressiste dans lequel le capitalisme et le capitalisme d'État se rejoignent. Mais il rejette aussi celle, caractéristique de l'écologie profonde, de la résorption dans la nature d’une humanité réduite au statut d'espèce animale parasite, notamment parce que cette perspective ne tient aucun compte de la polarisation interne aux sociétés humaines. Il récuse tout autant celle de l'environnementalisme, qui partage avec les précédentes une approche globalisante, tendant en l'occurrence à faire porter à chaque individu la culpabilité de la crise écologique[10]. Dans sa vision d'une écologie sociale, même si les facteurs démographiques ou proprement environnementaux entrent en ligne de compte, la clé de la domination et de l'exploitation de la nature se trouve dans les rapports de domination et d'exploitation qui s'exercent à l'intérieur de la société humaine. La cause première de la crise écologique n'est rien d'autre que la logique du « toujours plus », qui est celle du capitalisme[11]. Selon Murray Bookchin, la séparation de l'esprit humain d'avec la nature est un processus parallèle à la constitution des sociétés hiérarchisées, et ces deux dimensions de nos modes de socialisation imprègnent profondément les mentalités[12]. Pour s'en dégager, il faut étudier les communautés « organiques » et concevoir de nouveaux modes de socialisation inspirés des pratiques anciennes d'entraide, en vue de réconcilier l'humanité avec la nature et de la réinscrire dans le processus naturel de l'évolution. Est en effet postulée une nature humaine : l'homme est la nature prenant conscience d'elle-même ; l'humanité représente l'émergence dans l'évolution, à un niveau jamais atteint auparavant, de la rationalité, de la réflexivité et de l'aide mutuelle[13]. Ce postulat, irrecevable pour une pensée déconstructionniste[14], s'inscrit dans une conception d'ensemble qui voit dans la nature elle-même une dynamique tendant vers la liberté par la coopération. En s'appuyant sur une relecture des apports de la biologie qui souligne les phénomènes d'association, d'entraide et de symbiose, et non exclusivement de concurrence et de sélection[15], elle permet de replacer dans la continuité d'une nature non hiérarchique la perspective d'une société non hiérarchisée, elle-même posée comme le cadre le mieux adapté au développement d'une personnalité singulière dans un tissu communautaire[16].
— L'Ecologie sociale : penser la liberté au-delà de l'humain, éditions Wildproject, 2020, p.19. Municipalisme libertaireLe projet d'organisation sociale conçu par Murray Bookchin est un confédéralisme démocratique à base de municipalisme libertaire[16], où le passage aux niveaux plus larges se fait sous mandat impératif[17]. La taille des villes devient un paramètre crucial dans un modèle où les communes sont appelées à gérer en leur sein le rapport entre ville et campagne et l'usage approprié des technologies[18].
— Une société à refaire, éditions Écosociété, 1993, p. 255-256. Opposition à l'individualismeDans Social Anarchism or Lifestyle Anarchism, Murray Bookchin analyse l’anarchisme individualiste dans son incarnation la plus moderne, le « lifestyle anarchism » (« anarchisme comme mode de vie »), apparu au cours des années 1980 et 1990, période de reflux des mouvements révolutionnaires, aux États-Unis comme ailleurs. Il analyse notamment les travaux de L. Susan Brown[19]. Dans la revue canadienne Relations, Claude Rioux explique ainsi les craintes de Bookchin :
Rioux ajoute que « selon Bookchin, cette vision a des conséquences sur le mouvement libertaire, notamment une exaltation du consensus (la majorité est illégitime même contre l’opinion d’un seul individu) et de la spontanéité individuelle aux dépens de l’organisation démocratique, plus à même d’établir des institutions autogérées ayant du pouvoir contre la domination capitaliste et les institutions hiérarchisées »[20]. InfluenceRapidement connu pour la facilité avec laquelle il adressait des critiques dévastatrices au marxisme en utilisant le langage marxiste lui-même, Murray Bookchin est resté un anticapitaliste radical et un défenseur de la décentralisation extrême des sociétés. Son idée d'une écologie sociale a exercé une influence notable sur le mouvement des « Verts », tant dans le domaine de l'écologie politique[21] que dans celui de la décroissance[22],[23]. Durant les dernières années de sa vie, et à la demande de celui-ci, il entretint une correspondance soutenue avec Abdullah Öcalan, dirigeant historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), détenu en Turquie sous le coup d'une peine d'emprisonnement à vie. Ajoutés à la lecture de son œuvre, ces échanges eurent une influence majeure sur le dirigeant kurde et sur la ligne de son parti, qui se référait initialement au marxisme-léninisme[24]. À partir de 2005, le PKK adopte le confédéralisme démocratique, un programme qui rejette le nationalisme et la prise de pouvoir en tant qu'objectif du parti[25]. Ses grandes lignes sont définies par un modèle de démocratie assembléiste proche du municipalisme libertaire, une économie de type collectiviste, un système de fédéralisme intégral entre communes et une coopération paritaire et multiethnique dans des systèmes organisationnels et décisionnels autogérés[26],[27],[28]. En 2006, à la mort de Murray Bookchin, l’assemblée du PKK s'engage à fonder la première société basée sur le confédéralisme démocratique, nouveau modèle de socialisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire[29],[30],[24]. Ce projet internationaliste, qui vise à rassembler les peuples du Proche-Orient dans une confédération de communes démocratique, multiculturelle et écologiste, est repris en Syrie par le Parti de l'union démocratique (PYD), proche du PKK[24]. L'autonomie acquise par les Kurdes dans le nord de la Syrie en 2012 lui donne le cadre d'un début de concrétisation[31],[32],[33]. Le , les cantons du Rojava, dans le Kurdistan syrien, se fédèrent en communes autonomes. Celles-ci adoptent un contrat social qui établit une démocratie directe et une gestion égalitaire des ressources, sur la base d’assemblées populaires[24]. ÉcritsÉcrits originaux en anglais
Écrits traduits en français
Notes et références
AnnexesArticles connexesBibliographieEn français
En anglais
En italien
Liens externes
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