L'enfance d'André Barsacq, né en Crimée, se déroule au bord de la Mer Noire où son père, Joseph, un ingénieur agronome français, d'une lignée terrienne issue des Landes, introduit de nouvelles techniques de traitement des vignobles.
Le décès prématuré de son mari, à l'âge de 33 ans, oblige sa mère, Olga, née dans une famille d'exilés politiques russes, à rentrer en France avec ses deux fils. Léon Barsacq, l'aîné, sera toute sa vie très proche de son frère André, de deux ans son cadet.
Tous deux choisissent de poursuivre une carrière artistique. Léon Barsacq deviendra l'un des premiers décorateurs français de cinéma de son temps, travaillant notamment avec Jean Renoir, Marcel Carné ou René Clair.
À Paris, André Barsacq fait ses études au lycée Henri-IV, puis à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, section architecture. Il se passionne alors pour l'effort de rénovation dramatique conduit par Jacques Copeau. À la même époque, il se passionne aussi pour la section russe du Théâtre de l'Exposition Internationale de 1925 et pour les dernières saisons chorégraphiques et lyriques de la Compagnie de Serge Diaghilev, à quoi s'ajoutent des alliances familiales qui le conduisent dans l'entourage du peintre Léon Bakst. Autant de circonstances fécondes et décisives pour sa vocation et son orientation.
Après avoir vu, en 1925, l'adaptation par Jean Cocteau de l’Antigone de Sophocle mise en scène par Charles Dullin dans son Théâtre de l'Atelier, il décide de consacrer sa vie au théâtre[1] et entre chez Dullin en 1927 en qualité de décorateur. Son premier succès éclatant lui est donné à dix-huit ans avec la création des décors et des costumes de Volpone de Jules Romains et Stefan Zweig, d'après Ben Jonson, mis en scène par Charles Dullin.
Il travaille une dizaine d'années avec ce dernier, en compagnie d'Antonin Artaud, Jean Hugo, Jean-Louis Barrault, Jean Grémillon ou Roger Blin. Il conçoit les décors et les costumes pour Le Stratagème des roués de George Farquhar (1930), Musse de Jules Romains (1930), Le Médecin de son honneur de Calderon (1935) adapté par Alexandre Arnoux et Le Fils de Don Quichotte de Pierre Frondaie (1935). Il renouvelle par ailleurs, en 1930, pour la Compagnie des Quinze de Michel Saint-Denis, le dispositif scénique du Théâtre du Vieux-Colombier imaginé en 1919 par Jacques Copeau et Louis Jouvet. Dans ce nouveau dispositif seront jouées deux pièces d'André Obey dont il dessine les décors : Noé (1930) et Le viol de Lucrèce (1931). Durant ces années, « André Barsacq transforma subtilement le métier : de décorateur, considéré alors comme un ensemblier, il devient scénographe, créant une symbiose profonde, aujourd'hui évidente entre texte et contexte[2] ». Un jugement qui rejoint celui d'André Levinson, qui observe que « à l'exclusion de tout ornement superflu, tout dans son décor était fonction de l'ouvrage représenté, nécessité vitale du spectacle. Il ne fixait pas seulement certains aspects extérieurs du spectacle à venir, mais jusqu'à un certain point, il en préfigurait le mouvement et en amorçait les effets[3]. » André Barsacq définit ainsi les principes de son esthétique : « Supprimer le cadre, sortir l'action du fond du plateau, la projeter devant.» Et de poursuivre : « La scène ne sera plus étouffée par des penderillons et des frises, la lumière, enfin débarrassée de toute poussière, pourra jouer librement sur les gestes et les physionomies des acteurs[4].»
En 1933, André Barsacq part avec Jacques Copeau en Italie, pour participer à la mise en scène des grands spectacles de plein air organisés par le Mai Florentin : Le Mystère de Santa Uliva, une légende du XVIe siècle. Il retourne à Florence en 1935, toujours avec Jacques Copeau, pour la réalisation de Savonarole crée sur la Piazza della Signoria. Il dessine et réalise les costumes, la décoration, les scènes d'évolution, l'agencement de la loge des Lanzi destinée à abriter l'orchestre et les chœurs, et l'installation des gradins capables de contenir trois mille spectateurs. Ce spectacle eut une influence décisive sur Giorgio Strehler.
En 1936, il conçoit pour Jacques Copeau les décors et les costumes de Napoléon Unique de Paul Reynal au Théâtre de la porte Saint Martin. La même année, à la demande d'Ida Rubinstein, il décore et dessine les costumes du ballet-théâtral Perséphone d'André Gide sur une musique d'Igor Stravinsky et dans mise en scène de Jacques Copeau. Il travaille également à la création du ballet Sémiramis avec Ida Rubinstein, Arthur Honegger et Paul Valéry - un ballet dont il assure décors, costumes et scénographie à l'Opéra de Paris.
En , André Barsacq et Jacques Copeau travaillent une dernière fois ensemble pour la mise en scène de l'adaptation d'une œuvre médiévale, Le Miracle du pain doré, dans la cour d'honneur des Hospices de Beaune. Parallèlement à cette activité théâtrale, André Barsacq collabore, comme décorateur, avec de grands cinéastes. Il conçoit les décors de L'Argent (1928) et de L'Honorable Catherine (1942) pour Marcel L'Herbier ; ceux de Maldone (1927), de Gardien de Phare (1929), de Lumière d'été (1942) et de La Dolorosa (1934) pour Jean Grémillon ; ceux de Martyre de l'Obèse (1932) pour Pierre Chenal et de Courrier Sud (1935) pour Pierre Billon ; enfin ceux de Yoshiwara (1936) pour Max Ophüls. Il est également assistant-réalisateur de Jean Grémillon pour Maldone, Gardien de Phare et La Dolorosa.
La Compagnie des Quatre Saisons
En 1937, tandis qu'il est auprès de Raymond Cogniat vice-président de la classe 70 des décorateurs de théâtre à l'Exposition internationale de Paris (où il est également l'architecte du Théâtre de Verdure et du Théâtre Volant), André Barsacq fonde avec Jean Dasté - le gendre de Jacques Copeau -, Maurice Jacquemont et Pierre Barbier la Compagnie des Quatre Saisons. Désormais, sa carrière se confond avec celle de la jeune troupe. Il en assume les responsabilités de direction, de mise en scène et de décoration.
Longtemps avant l'explosion de la décentralisation puis des maisons de la culture, il conduit les Quatre Saisons à travers la France, à la rencontre des publics les plus divers, cheminots, pêcheurs, badauds… La toute première représentation de la troupe se déroule en devant les cheminots du Réseau de l'État sur des tréteaux installés en forêt de Rambouillet. Elle y joue Le Médecin volant de Molière, qu'elle reprend le sur le Pont-Neuf de Paris. À l’Exposition Internationale de Paris, la Compagnie des Quatre Saisons emporte un succès éclatant avec Le Roi Cerf de Carlo Gozzi. Elle est aussitôt sollicitée par le French Theatre de New York.
À l'instar de celle du Vieux-Colombier vingt ans plus tôt, la troupe s'embarque pour New-York où, pendant la saison 1937-1938, elle joue sept spectacles mis en scène par André Barsacq, qui se lie alors d'amitié avec Antoine de Saint-Exupéry et Orson Welles. Parmi ces pièces, on dénombre Le voyage de Monsieur Perrichon d'Eugène Labiche, Knock de Jules Romains, Jean de la Lune de Marcel Achard, Y'avait un prisonnier de Jean Anouilh et Fantasio de Alfred de Musset.
Après ses succès new-yorkais, la Compagnie des Quatre Saisons joue le même répertoire à Rio de Janeiro. Puis elle rentre en France fin 1938 pour créer, au Théâtre des Arts, Le Bal des voleurs de Jean Anouilh, dans une mise en scène, décors et costumes d'André Barsacq.
Ami de Robert Desnos, André Barsacq entreprend alors de collaborer avec Jules Supervielle, ce que la déclaration de guerre empêche.
La direction du Théâtre de l'Atelier
Un moment suspendues par la guerre, les activités de la Compagnie des Quatre Saisons vont soudain connaître un nouveau tournant. En 1940, Charles Dullin quitte le Théâtre de l'Atelier qu'il animait depuis 1922, pour prendre d'abord la direction du Théâtre de Paris puis, une année plus tard, celle du Théâtre Sarah Bernhardt rebaptisé Théâtre de la Cité. Il confie sa succession à André Barsacq. L'essentiel de l'œuvre de metteur en scène, de décorateur, d'auteur et d'adaptateur d'André Barsacq se réalise alors sur la scène de ce théâtre.
Que ce soit au Théâtre de l'Atelier, à la Comédie-Française, à l'Odéon ou à l'Opéra Garnier, André Barsacq va durant trois décennies présenter plus de 80 spectacles dont 40 créations soit plus à l'époque que tous les théâtres subventionnés.
Praticien et homme d'action, André Barsacq a exercé pendant vingt-cinq ans un rôle déterminant pour l'organisation et la défense des professions du spectacle. En 1958, il fonde le « Nouveau Cartel » avec Jean-Louis Barrault, Jean Mercure et Raymond Rouleau, inspiré du Cartel des quatre dans le sillage duquel il est inscrit.
Fondateur en 1947 avec Charles Dullin et Gaston Baty, président en 1950, puis président d'honneur du Syndicat national des metteurs en scène en 1962, il obtient en 1960 la signature avec les pouvoirs publics de la convention collective reconnaissant les droits de créateur des metteurs en scène et leurs droits de salariés. Il reprend la présidence effective du syndicat en 1968.
Il a aussi été président du Centre français du théâtre et fondateur du Théâtre pour l'enfance.
Félicien Marceau a écrit à son sujet : « Animateur au sens le plus fort du terme, il ne se contentait pas de voir des auteurs, il les suscitait. II ne se contentait pas d'engager des acteurs, il allait en chercher auxquels personne n'aurait pensé. Auteurs et acteurs, on ne compte pas ceux qui lui doivent cette chose capitale, et la plus difficile : leur première chance, leur première affirmation. Cela aussi, c'était tout ensemble le talent et la générosité. Pour que le théâtre soit vivant, pour qu'il soit cette passion qui brûle et sans quoi il n'est pas de répliques feintes devant des murs feints, il y faut cet amour, cette ferveur, ce courage, ce goût du risque, cette rigueur, ce respect du public. C'est tout cela qu'il y avait chez André Barsacq. »[5]
À Montmartre, dans le 18e arrondissement, la partie de la rue Berthe[6] (il habitait au numéro 2) comprise entre la rue Foyatier et la rue Drevet est rebaptisée rue André-Barsacq[7] par arrêté municipal du .
André Barsacq est le père de Jean-Louis Barsacq, auteur de sa biographie[8], de la comédienne Élisabeth Alain, du metteur en scène Alain Alexis Barsacq, de l'architecte Michel Barsacq et de Katherine Barsacq, la femme du sculpteur et orfèvre Goudji.
À l'occasion du centenaire de sa naissance, le ministère de la Culture retient le nom d'André Barsacq dans le cadre des célébrations nationales 2009.
1930: Musse de Jules Romains ; décors et costumes ; mise en scène Charles Dullin, Théâtre de l'Atelier.
1931: Noé d'André Obey ; décors et costumes ; mise en scène Michel Saint-Denis, Théâtre du Vieux Colombier.
1931: Le viol de Lucrèce d'André Obey ; décors et costumes ; mise en scène Michel Saint-Denis, Théâtre du Vieux Colombier.
1932: La famille Carvajal de Prosper Mérimée ; décors et costumes ; mise en scène Charles Dullin, Théâtre de l'Atelier.
1932: Lanceurs de graines de Jean Giono ; décors et costumes ; mise en scène Michel Saint-Denis, Théâtre du Vieux Colombier.
1932: La paysanne de Vallécas d’Henri Ghéon, d’après Tirso de Molina, décors et costumes ; mise en scène Michel Saint-Denis, Théâtre du Vieux Colombier.
1933: Violante d'Henry Ghéon ; décors et costumes ; mise en scène Michel Saint-Denis, Théâtre du Vieux Colombier.
1933: Le Mystère de Santa Uliva ; décors, costumes, scénographe et assistant du metteur en scène Jacques Copeau au Mai Florentin.
1963 : Un mois à la campagne d'Ivan Tourgueniev, adaptation et mise en scène ; décors et costumes de Jacques Dupont, Théâtre de l'Atelier.
1964 : Monstre Turquin de Carlo Gozzi, adaptation et mise en scène ; décors et costumes de Jacques Noël, musique d'André Popp, Théâtre de l'Atelier.
1965 : Ce soir, on improvise de Luigi Pirandello, adaptation par Michel Arnaud ; mise en scène ; décors et costumes de René Allio, Théâtre de l'Atelier.
1972 : David, la nuit tombe de Bernard Kops, adapté par E. Zerline ; mise en scène ; décors et costumes de Jean-Loup Martin, Théâtre de l'Atelier.
1972 : Crime et Châtiment de Dostoïevski, adaptation et mise en scène ; décors et costumes de Hubert Monloup et Alain-Alexis Barsacq, Théâtre de l'Atelier.
Ivan Tourgueniev, Adaptation d'Un Mois à la campagne, L’Avant-Scène Théâtre, no 307, 1964
Nicolas Gogol, Traduction du Théâtre in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard 1966
Fiodor Dostoïevski, Adaptation de L’Idiot, L'Avant-Scène Théâtre, no 367, 1966
Luigi Pirandello, Traduction, Les Géants de la Montagne, Denoël, 1967
Alexandre Ostrovski, Adaptation de La forêt, L'Avant-Scène Théâtre, no 447, 1970
Nicolas Gogol, Traduction du Révizor, Folio Théâtre, Gallimard 2013
Textes, hommages et polémiques
L'Architecture d'aujourd'hui, no 9,
Propos sur la mise en scène, Ed. Françaises Nouvelles 1943
Où va le théâtre, Intermède, no 1, printemps 1946
Bakst, Intermède, no 2,
Lois scéniques, La Revue théâtrale, no 5, avril-
Qu’est devenu le Cartel, Opéra, nos 117, 6
Hommage à Jacques Copeau, Arts,
L’expérience de trois mises en scène de plein air, in Architecture et dramaturgie, Bibliothèque d'esthétique, Flammarion, 1950
Notes sur la mise-en-scène du Révizor, Europe,
Préface et mise en scène au Voyage de Monsieur Perrichon d'Eugène Labiche, Coll. Mise en Scène, Éditions du Seuil, 1954
La Mouette de Tchékhov, France-URSS, no 116, 1955
Quels sont les responsables de la crise du théâtre, Les Nouvelles Littéraires, no 1508, 26 juillet, 1956
Jean Anouilh, A l'Atelier pendant près de 15 ans, Cahiers de la compagnie M. Renaud-J.L. Barrault,
Vsevolod Meyerhold, le premier metteur en scène de "La Punaise", Paris Théâtre, no 144,
Jacques Copeau in "Cahiers Jacques Copeau, Connaissance du théâtre", octobre-
Félicien Marceau mis en scène, Livres de France no 4, Éditions du Seuil, 1961
Ce soir on improvise : la dramaturgie de Luigi Pirandello, L’Avant-Scène Théâtre, no 333, 1965
Au sujet de Dostoïevski, Plaisir de France, supplément théâtral, nos 337, 1966
Luigi Pirandello, La tragédie moderne, Europe,
Un heureux mariage, L’Avant-Scène Théâtre, no 389, 1967
Notes à propos de l'Aide-Mémoire de Jean-Claude Carrière, L’Avant-Scène Théâtre, no 415, 1968
Réflexions à propos du Barbier de Séville, L’Avant-Scène Théâtre, no 457, 1970
Discours sur Nicolas Evreïnoff, Revue des Études slaves, no 53, 1981
Correspondance avec Isabelle Rivière au sujet Grand Meaulnes, Association des amis de Jacques Rivière et d'Alain-Fournier, no 118, 2007
Notes et références
↑André Barsacq, un décorateur au carrefour de la réflexion scénique du XXe siècle, Paris, Bibliothèque Nationale de France, , 47 p. (ISBN2-7177-2325-0), Lettre manuscrite de Jean Cocteau à André Barsacq, page 3
↑Le génie des plateaux, Sophie Cachon, Télérama no 2873 - 2 février 2005.
↑Les décors d'André Barsacq, André Levinson, L'Art vivant - avril 1929.
↑Paul-Louis Mignon,Charles Dullin, La Manufacture, 1990.
↑Texte de programme du Théâtre de l'Atelier, 1974.
↑Rue Berthe dans la nomenclature des voies de Paris.