Georges Vajda
Georges Arié Yehouda Vajda , né à Budapest le 18 novembre 1908 et mort à Paris le 7 octobre 1981 , est un historien médiéviste de la pensée juive et islamologue français. Orientaliste arabisant et hébraïsant , il s'est imposé dans l'entre deux guerres comme un spécialiste de la littérature rabbinique dans ses rapports étroits avec la théologie musulmane . Formé à la BNF au métier d'archiviste , il a au sein de l'IRHT et de l'EPHE redonné après guerre son renom international, qu'avait éclipsé l'épisode de Vichy , aux études paléographiques françaises de l'arabe et de l'hébreu médiéval .
Biographie
De l'Autriche à la France (1908-1931)
Né sujet austrohongrois , György Vajda, Weisz en yiddish , fait sa scolarité au gymnase [ 2] . La maturité obtenue, il commence des études supérieures au Séminaire rabbinique de Budapest que dirige Ignaz Goldziher [ 3] . Il y est formé par le talmudiste Ludwig Blau (de) et par l'orientaliste francophone Bernát Heller (hu) .
Il suit également les cours du turcologue Gyula Németh à l'université de Budapest mais se heurte au numérus clausus [ 3] imposé par le régime autoritaire et antisémite que l'amiral Horthy a commencé de mettre en place neuf ans plus tôt, à l'avènement de la Régence de Hongrie . Il a vingt ans et part poursuivre ses études à Paris [ 4] Inscrit à la faculté de lettres , il étudie l'histoire juive au Séminaire israélite de France , auprès de Maurice Liber [ 3] .
Il complète l'étude du grec et du latin , qu'il poursuit en Sorbonne , par celles du turc et du persan , à l'École nationale des langues orientales vivantes . Il suit à l’École pratique des hautes études le cours de civilisation musulmane que donne Maurice Gaudefroy-Demombynes [ 2] . Il obtient la nationalité française au bout de trois ans, en 1931.
Orientaliste reconnu (1932-1939)
À partir de 1932, c'est auprès de Louis Massignon [ 3] , successeur de Maurice Gaudefroy-Demombynes , que Georges Vajda continue sa formation à l’EPHE . Ses connaissances des langues classiques comme des langues orientales lui valent d'entrer en 1933 au comité de rédaction de la Revue des études juives [ 3] , qui deux ans plus tôt publiait son premier article[ 5] .
En 1935, il est nommé maître de conférences à l'École pratique des hautes études [ 2] . En 1936, il est en outre nommé professeur d'études bibliques et de théologie juive dans le même Séminaire israélite de France , poste qu'il occupera jusqu'en 1960[ 4] , avec interruption pendant l'Occupation .
En 1937, il est appelé au nouvel Institut de recherche et d'histoire des textes par Félix Grat pour y fonder la section des langues orientales [ 6] . Le projet est soutenu par Jean Perrin , sous secrétaire du ministre de l'Éducation nationale Jean Zay et fondateur du Service central de la recherche scientifique, le futur CNRS . Georges Vajda y est chargé de cours . Sans cesser pour autant d'enseigner ni à l'EPHE ni au SIF , il travaille parallèlement comme archiviste à la Bibliothèque nationale de France .
Savant caché (1940-1944)
Le 1er novembre 1940 , cinq mois et demi après la mort héroïque de Félix Grat , quatre mois et demi après la défaite et l'avènement de Pétain , la section orientale de l'IRHT devient la section arabe[ 6] . Le changement de titre est une façon de déjudaïser l'institut, du moins en apparence, et ainsi satisfaire le zèle antisémite de la tutelle , le secrétaire d'Etat à l'Instruction publique et à la Jeunesse Georges Ripert . Comme Georges Vajda tombe sous le coup du statut des Juifs , la direction de la section est officiellement attribuée à des « aryens », les professeurs Régis Blachère , Jean Sauvaget et Louis Massignon , son ancien professeur à l'EPHE qui est un proche du Réseau du musée de l'Homme [ 6] , moyennant quoi il peut officier pendant encore un an et demi.
Le 7 juin 1942 , le port de l'étoile jaune dans les lieux publics est rendu obligatoire en Zone nord pour les citoyens catégorisés « Juifs » . Dès ce mois de juin[ 6] , Georges Vajda se cache. Il échappe ainsi la rafle du Vel d'hiv et s'enfuit en Zone sud , à Chamalières [ 2] , ville d'eau qui jouxte Clermont-Ferrand .
Vraisemblablement orienté par un contact de la Résistance juive , il se réfugie au Chambon-sur-Lignon , où une filière de caches a été mise en place sur ordre du pasteur André Trocmé . Il enseigne le latin et le grec à l'École nouvelle cévenole dès la rentrée 1942.
À partir de novembre 1943, il donne des cours à l'« École des prophètes » que Georges Lévitte ouvre alors dans une aile de la ferme d'Istor, au lieu dit Chaumargeais [ 7] , pour les Éclaireurs israélites de France et les enfants cachés . Au début de l'année 1944, il y est rejoint par Jacob Gordin , qui lui aussi, mais dans une perspective messianique , deviendra un acteur du « renouveau du judaïsme français » .
CNRS et EPHE (1945-1979)
À la Libération , Georges Vajda retrouve ses postes à l'IRHT [ 6] et à la BNF [ 3] . En 1945, il relance la Revue des études juives en en prenant la direction[ 4] . Avec ses homologues Marcel Richard (en) , à la section hellénique , et Élisabeth Pellegrin, à la section latin médiéval , il réussit, contre l'avis du CNRS dont désormais ils dépendent et qui se méfie des chercheurs qui utilisent leur temps pour promouvoir leurs travaux à travers des livres, à faire de l'Institut de recherche et d'histoire des textes , sous l'étiquette du Centre national de la recherche scientifique , une maison d'édition et ainsi lui donner un renom international[ 8] . Il contribue de cette façon à l'émergence de ce qui deviendra CNRS Éditions .
En 1954, il est nommé directeur d'études à la Ve section, sciences religieuses , de l'École pratique des hautes études . Il y est titulaire de la chaire des études rabbiniques [ 3] . Comme aucun successeur à la direction de la section arabe de l'IRHT n'est agréé, il continue de remplir cette fonction bénévolement [ 8] . Il assume, à la suite de Pierre-Maxime Schuhl puis Edmond-Maurice Lévy , la présidence de la Société des études juives avant de la céder à Israël Salvator Révah (de) [ 9] .
En 1956, il recrute à la section arabe de l'IRHT son élève Colette Sirat [ 8] , une spécialiste de la paléographie hébraïque. Il redonne ainsi à la section son orientation vers les études hébraïques [ 8] . Celle ci retrouve alors officiellement, seize ans après l'infamie commise par le régime de Vichy , son nom de section orientale [ 8] .
En 1970[ 4] , il devient en outre professeur de littérature juive post-biblique à l'Université Paris III . En 1971, il recrute à l'IRHT son élève Gabrielle Sed-Rajna , qui y initie une section consacrée aux manuscrits enluminés [ 10] . Il prend sa retraite en 1979 mais ne quitte la direction de la REJ que l'année suivante[ 3] .
Œuvre écrit
Georges Vajda a publié quatre cent cinquante sept[ 4] livres et articles, principalement dans la Revue des études juives , la Revue de l'histoire des religions , la Revue de philologie , la Revue des études latines , Scriptorium , Arabica , Le Moyen Age , auxquels s'ajoutent quelques mil deux cent[ 4] comptes rendus de lecture.
En privilégiant l'exhumation de textes et leur exégèse plutôt que les hypothèses, il a consacré la plupart de son activité à l'étude transversale du judaïsme médiéval dans ses liens avec l'islam : la philosophie juive , le karaïsme , la kabbale , le Kalâm et la Saadiana . Incontournables sont
La théologie ascétique de Bahya ibn Paquda , coll. Cahiers de la Société asiatique , 1er série, vol. VII, Imprimerie nationale , Paris , 1947, 154 p.
Introduction à la pensée juive du Moyen Âge , coll. Etudes de philosophie médiévale, vol. 35, Vrin , Paris 1947, 244 p.
Répertoire des catalogues et manuscrits arabes , coll. IRHT , CNRS , Paris, 1949, 47 p.
Index général des manuscrits arabes musulmans de la Bibliothèque Nationale , coll. IRHT , vol. IV, CNRS , Paris, 1953, 744 p.
Juda ben Nissim ibn Malka (it) , philosophe juif marocain . , coll. Hespéris, no XV, Librairie Larose , Paris, 1954, 199 p.
L'amour de Dieu dans la théologie juive du Moyen Age , coll. Études de philosophie médiévale, no 46, Vrin , Paris, 1957, 310 p.
Isaac Albalag averroiste juif, traducteur et annotateur d’Al-Ghazâli , coll. Études de philosophie médiévale, Vrin , Paris, 1960, 290 p. (ISBN 978-2-7116-0717-4 ) .
« Les lettres et les sons de la langue arabe d'après Abû Hâtim al-Râzî », in Arabica , vol. VIII, p. 113-180 , Institut d'études islamiques de l'Université de Paris , Paris, 1961.
Recherches sur la philosophie et la kabbale dans la pensée juive du Moyen Âge , Mouton & Co. , La Haye , 1962, 442 p.
Le Commentaire ď'Ezra de Gérone sur le "Cantique des Cantiques " , coll. Pardès - Études et textes de mystique juive , Aubier Montaigne , Paris, 1970, 180 p.
Deux recueils posthumes ont été publiés.
G. E. Weil , Mélanges Georges Vajda. Etudes de pensée, de philosophie et de littérature juives et arabes. In memoriam. , Gerstenberg (de) , Hildesheim , 1982, 855 p.
D. Gimaret , M. Hayoun & J. Jolivet , Études de théologie et de philosophie arabo-islamiques à l'époque classique , coll. Collected studies series, no 228, Variorum reprints (en) , Londres , 1986, 318 p. (ISBN 0-86078-176-3 ) Fac-similés d'articles de Georges Vajda publiés en français de 1937 à 1976 avec un index.
Rééd. préf. J. Jolivet & M. R. Hayoun , Sages et penseurs sépharades de Bagdad à Cordoue , coll. Patrimoines. Judaïsme., Cerf , Paris, 1989, 296 p. (ISBN 2-204-03111-9 ) .
Notes et références
↑ « Séance du 25 février » , in Comptes rendus des séances , 110ᵉ an., no 1, p. 109, Académie des inscriptions et belles-lettres , Paris, 1966.
↑ a b c et d G. Nahon & Ch. Touati , « Georges Vajda (1908-1981) » , in Annuaire , t. XC "1981", p. 31-35 , Section des sciences religieuses de l'École pratique des hautes études , Paris , 1982.
↑ a b c d e f g et h « Le maître d’une école française d’études juives » , in Laurent Munnich, Akadem , Fonds social juif unifié , Paris, [s.d.]
↑ a b c d e et f Ch. Touati & J. P. Rothschild, « Vajda, Georges » , in Encyclopaedia Judaica , t. XX , p. 457-458 , Macmillan Reference USA , Détroit , 2007, 2e éd.
↑ G. Vajda, « La version des Septantes dans la littérature musulmane », in REJ , Paris 1931.
↑ a b c d et e Louis Holtz, « Les premières années de l’Institut de recherche et d’histoire des textes » , in dir. A. Kaspi , Les premiers laboratoires du CNRS , coll. La revue pour l’histoire du CNRS, p. 14, Comité pour l’histoire du CNRS , Paris , mai 2000, DOI 10.4000/histoire-cnrs.2742 (ISBN 978-2-271-05708-2 ) .
↑ S. Szwarc, [« Les penseurs du Colloque des intellectuels juifs de langue française (1957-2007) à l’ombre de la Shoah. », in Des Philosophes face à la Shoah , p. 331, coll. Revue d’histoire de la Shoah, no 207, Mémorial de la Shoah , Paris , juin 2017 DOI 10.3917/rhsho.207.0329 (ISSN 2111-885X ) (ISBN 9782916966168 ) .
↑ a b c d et e Louis Holtz, « Les premières années de l’Institut de recherche et d’histoire des textes » , in dir. A. Kaspi , Les premiers laboratoires du CNRS , coll. La revue pour l’histoire du CNRS, p. 18, Comité pour l’histoire du CNRS , Paris , mai 2000, DOI 10.4000/histoire-cnrs.2742 (ISBN 978-2-271-05708-2 ) .
↑ G. Nahon , « Avant-propos » , in Table et Index de la Revue des études juives . Tomes CI à CXXV (1937-1966). , p. 254, SEJ , Paris, 1973.
↑ Louis Holtz, « Les premières années de l’Institut de recherche et d’histoire des textes » , in dir. A. Kaspi , Les premiers laboratoires du CNRS , coll. La revue pour l’histoire du CNRS, p. 25, Comité pour l’histoire du CNRS , Paris , mai 2000, DOI 10.4000/histoire-cnrs.2742 (ISBN 978-2-271-05708-2 ) .
Annexes
Articles connexes
Bibliographie
Dir. G. Nahon & Ch. Touati , Hommage à Georges Vajda. Études d'histoire et de pensée juives. , Peeters , Louvain , 1980, 611 p., (ISBN 2-8017-0151-3 ) .
J. Sublet, « Bibliographie de Georges Vajda (1908-1981) », in Arabica , vol. XXIX, no 3, p. 315-329 , Institut d'études islamiques de l'Université de Paris , Paris , 1982 (ISSN 0570-5398 ) .
A. Caquot , « Georges Vajda », in Journal Asiatique , vol. CCLXX, p. 225-228 , Société asiatique , Paris, 1982 (ISSN 0021-762X ) .
Alpey Yhwdah, préf. P. Fenton , Bibliographie de l'œuvre de Georges Vajda , coll. REJ , vol. 8, Société des études juives , Paris, 1991, 128 p. (extrait : [PDF] Parcours professionnel de Georges Vajda , Akadem )
« Georges Vajda », in J. Ch. Attias & E. Benbassa , Dictionnaire des mondes juifs , p. 585-586 , Larousse , Paris, 2008.
Documents
Archives George Vajda , coll. Archives privées, no 28, Bibliothèque de l'Alliance israélite universelle , Paris, 8 août 2005, 36 boîtes et 1 caissette de 18 tapuscrits ou imprimés.
Liens externes